Environ un an après l’assaut contre le Capitole, et l'élection de Joe Biden, la société américaine n'est pas seulement divisée : elle est "polarisée", disent les observateurs. Elle semble même avoir perdu ses modérés... Succès des thèses complotistes QAnon et montée en puissance des suprémacistes blancs d'un côté, groupes progressistes violents de l'autre : certains parlent de guerre civile. Tandis que sur le plan international, l'administration Biden déçoit.
Un débat enregistré le 11 janvier 2022 et animé par Jean-Luc Pouthier, François Euvé et Philippe Lansac, dans le cadre des Mardis d’éthique publique du Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, dont RCF est partenaire.
AVEC : Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord de l’Institut français des relations internationales (IFRI), auteure de "Les États-Unis de Trump en 100 questions" (éd. Tallandier, 2018) ; Michel Duclos, ancien ambassadeur, conseiller spécial à l’Institut Montaigne, auteur de "La France dans le bouleversement du monde" (éd. L’Observatoire. 2021)
À Washington, le 6 janvier 2022, le discours Joe Biden pour marquer le premier anniversaire de l’assaut du Capitole se voulait offensif. Il a évoqué à plusieurs reprises la responsabilité de Donald Trump dans la tentative de coup d’État - sans jamais citer son nom. Il a aussi assuré que de tels faits ne se reproduiraient plus jamais. Est-ce si sûr ?
Paradoxalement, juste après l’assaut du Capitole, il y avait eu "un moment d’optimisme sur la démocratie américaine", remarque Laurence Nardon. De fait, "face à ce président qui ne voulait pas rendre le pouvoir, tous les contre-pouvoirs prévus par la constitution américaine avaient tenus". Mais aujourd'hui, on constate que l’attaque contre le Capitole ne semble pas avoir affecté la popularité et l’influence de Donald Trump. Sa base électorale est toujours solide. Et la société n'est pas seulement divisée, elle est "polarisée", ne cesse-t-on de dire.
Aujourd'hui aux États-Unis, "tout est politisé à l’extrême", décrit Laurence Nardon. Dans cette société où "il semble que les modérés ont disparu", "on ne parle plus à ses voisins quand ils ne sont pas du même camp…" 68% des républicains pensent que Biden a été élu à la suite d’une fraude électorale massive organisée par les démocrates. Hélas "on ne peut que les croire sincères dans cette impression", ce qui, pour la spécialiste "est vraiment complètement délirant !"
Des études sont actuellement réalisées pour savoir quels groupes d’opinion "ont le plus quitté la réalité" et sont "les plus susceptibles de croire les thèses complotistes QAnon" - cette théorie du complot selon laquelle les démocrates satanistes pédophiles qui mènent le monde. Il y a à droite comme à gauche des groupes très violents. Dans cette société "déchirée", "on parle de possibilités de guerre civile" - même si le pays "a beaucoup de résilience et des institutions solides"...
Depuis cet été et le départ des troupes américaines d’Afghanistan, le taux d’approbation du travail de Joe Biden est à 42%. "Aucun président, hormis Trump, n’a été aussi bas dans les sondages un an après son élection", précise Laurence Nardon. Il doit faire face non seulement aux républicains "qui sont vent debout contre lui et qui, d’une certaine manière préfèrent que l’Amérique aille plus mal plutôt que de le voir réussir". Au sein de son propre parti, il est confronté à "une gauche très progressiste » et des modérés « qui pensent qu’il va beaucoup trop loin dans ses projets". Bref, Joe Biden a bien du mal à faire passer ses projets de lois - "des lois qui sonnent la fin de 40 ans de libéralisme économique régalien aux États-Unis".
Le président des États-Unis déçoit aussi à l’extérieur, sur sa politique étrangère. Aligné avec ses prédécesseurs Obama et Trump, il donne la priorité à la politique intérieure, va vers un désengagement maximal des activités militaires, et poursuit leur politique à l’égard de la Chine. "Si on fait la somme de cette première année de politique étrangère de Joe Biden, on a le sentiment qu’il n’y a pas eu beaucoup de succès ni surtout beaucoup de vision articulée", résume Michel Duclos. Une impression globale de déception, d’autant plus qu’on avait espéré "un nouveau Roosevelt". Et que son idée de conférences pour la démocratie face aux autoritarismes a fini par "se diluer". Même l’occasion de briller par son professionnalisme, là où Trump avait marqué par son "amateurisme un peu scandaleux" en matière de relations internationales, a rapidement "atteint ses limites", note l’ancien diplomate.
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