Le 24 avril 1915 sonne comme une période noire pour les arméniens du monde, elle marque le début de l’extermination des arméniens de l’Empire Ottoman, et donc du 1er génocide du siècle dernier. Cette journée est marquée par la rafle de 250 à 600 intellectuels arméniens (écrivains, responsables politiques, chef militaire, universitaires, avocats et autres membres de la haute société ottomane de Constantinople).
Parmi les victimes de la rafle des turcs ottomans, un homme au destin peu connu, un écrivain que l’on pensait qu’il finirait dans l’oublie après son assassinat, il avait 31 ans au moment de sa mort. Il s’agissait de Dikran Tcheugurian, cet Homme, c’était mon arrière grand oncle, et j’ai souhaité lui dédier un hommage particulier à un mois de la date de commémoration du Génocide par notre République.
Dikran est né en 1884 à « Gumushane », plus connu sous le nom « d’Argyropolis » (ville de l’argent) pour les grecs, à l’époque où ces derniers peuplaient la région que l’on appelait le « Pont » ou « Pontus », et a proximité de la ville de Trébizonde (« trabzon » en turc), d’où ma famille paternelle était originaire.
Dikran se passionna rapidement pour la littérature et l’écriture, et fût envoyé à l’Ecole Berberian de Constantinople afin d’y être formé, école qui accueilli des élèves qui furent ensuite des grands noms de la culture arménienne du XXe siècle, je pense notamment au célèbre écrivain et médecin arménien Roupen Sevak (lui aussi victime du génocide de 1915), Hrant Nazariantz, écrivain arméno-italien dont le nom fût proposé au prix Nobel de littérature, ou encore Chahnour Kerestedjian, plus connu sous le nom de plume « Armen Lubin », que les milieux littéraires français connaissent bien et qui est décédé en 1974 à Saint-Raphael dans le Var.
Dikran Tcheugurian eu une activité littéraire particulièrement intense durant sa vie, car à côté de son activité de professeur des écoles dans les écoles arméniennes de Constantinople, il était l’éditeur du journal arménien « Vostan », écrivait un certains nombres d’articles dans la presse, et publia quelques nouvelles sur l’Arménie en 1910, ce qui a eu pour mérite de la faire connaître dans les milieux littéraires de Constantinople.
En 1914, il publia son ouvrage phare, « le Monastère, journal d’un religieux », qui traite de la vie d’un jeune moine arménien qui est installé dans un monastère arménien en Anatolie. Ce dernier sera confronté aux prémices du génocide de 1915, puisqu’il sera témoin des massacres et des persécutions d’arméniens, et de chrétiens en Anatolie vers la fin du XIXe siècle. Ce jeune moine sera ainsi traversé par les évènements de l’Histoire, des réflexions philosophiques, politiques et religieuses, et alors qu’il sera troublé sentimentalement par la jeune Chouchane.
Il est possible de trouver ce livre sur internet aux Editions Parenthèses qui publie un certains nombres d’oeuvres arméniennes d’avant et d’après génocide.
Un an après la publication de son chef d’oeuvre en 1914, Dikran n’échappa pas au triste destin des arméniens de l’Empire ottoman et se fît arrêter et assassiner avec sa femme Onnik comme tous les autres intellectuels arméniens le 24 avril 1915.
Sa vie fût courte, mais son esprit brillant eu le mérite de former des jeunes arméniens de Constantinople dont certains eurent la chance de survivre aux massacres, et il permît au renouveau de la littérature arménienne à l’heure où cette dernière était malmenée par le pouvoir ottoman qui sombrait progressivement vers la haine anti-arménienne.
Malgré son destin funeste, son oeuvre perdura dans le temps, et fût même adaptée en pièce de théâtre par le metteur en scène franco-arménien Sarkis Tcheumlekdjian en novembre 1990 qui prît quelques libertés scénaristiques. Les photos ainsi que la musique de la représentation de 1990 sont disponible sur le site internet « Premier Acte » qui est la Compagnie et l’école de Théâtre de ce dernier.
Dikran Tcheugurian était le cousin germain de mon arrière grand-mère, le fait de savoir que sa mémoire et ses écrits persistent après le terrible génocide de 1915 est pour notre famille une fierté sans nom, et à l’heure où les arméniens ainsi que les chrétiens d’Orient sont menacés partout dans le monde, cela doit nous pousser à conserver nos traditions ici en France, mais aussi à leur tendre la main en leur apportant toute l’aide nécessaire afin qu’ils puissent vivre de façon prospère ainsi qu’en sécurité avec leur famille sur les terres de leurs ancêtres.