Entre le lundi 17 mai et le mardi 18 mai, entre 8 et 9000 migrants, principalement des Marocains, ont rejoint Ceuta à la nage ou en longeant à pied les digues maritimes du nord et du sud de l’enclave espagnole. Ceuta est une ville de 19 kilomètres carrés située au nord du Maroc, sur la façade africaine du détroit de Gibraltar, à 14 kilomètres des côtes andalouses. Peuplée de 85.000 habitants, elle est, avec Melilla, située 400 kilomètres plus à l’est, l’une des deux dernières enclaves de l’Espagne en Afrique.
Aldo Liga, spécialiste des flux migratoires, estime que ce qui s’est passé il y a une semaine est "sans précédent parce qu’il y a en général des contrôles réguliers et la police marocaine est très dissuasive". 2018 avait été une année record en terme d’arrivées en Espagne. Car cette année là, le flux migratoire entre la Libye et l’Italie baisse considérablement, se redirigeant en partie, donc, vers l’Espagne. 2018, c’est aussi l’arrivée au pouvoir de Pedro Sanchez, ce qui avait réinitialisé les relations entre le Maroc et l’Espagne.
Cet afflux massif de migrants, la semaine dernière, est notamment dû à la situation économique du Maroc, touché de plein fouet par la pandémie. Dans le pays, la pauvreté s’est multipliée par sept en quelques mois. Selon Jean-Christophe Dumont, chef de la division migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), "le différentiel de revenus est tel que dès que l’attention d’une des deux parties se relâche, les flux peuvent être conséquents".
L’enclave de Ceuta mais aussi celle de Melilla ont toujours fait partie des sujets de discorde entre les deux pays. Mais, cette fois-ci, les tensions diplomatiques sont à chercher ailleurs. Du côté du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole qui est l’objet d’un conflit depuis 1976 entre le Maroc qui en contrôle 80 % et les indépendantistes sahraouis du Front polisario, qui refuse que Rabat en prenne le contrôle. Le sujet a refait surface fin novembre lorsque le cessez-le-feu conclu en 1991 a été brisé. Mais selon Aldo Liga, analyste indépendant des flux migratoires, "la vraie crise, c’est la décision de l’Espagne d’accueillir le dirigeant du Front Polisario". Depuis le mois d’avril, Brahim Ghali, chef du Front polisario, est soigné en Espagne, après avoir été transporté par un avion de l’État algérien, "qui est le gros concurrent du Maroc", ajoute Aldo Liga.
L’Union européenne a réagi, affirmant avec fermeté que "personne ne peut intimider ou faire chanter l’Union européenne sur le thème migratoire", faisant très clairement allusion au Maroc. Et pourtant selon de nombreux observateurs, c’est l’Union européenne qui a commencé le chantage, en mettant en place une politique d’externalisation de la gestion de ses frontières extérieures. Pour Aldo Liga, l’Union européenne, en donnant de l’argent à plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée pour retenir les migrants et migrantes qui veulent rejoindre l’Europe, s’est placée dans une situation de vulnérabilité : "Ce chantage vient du fait que l’Europe a décidé de faire de la question migratoire une question géostratégique prioritaire". Mais, ajoute-t-il, "j’ai du mal à voir comment l’arrivée de plusieurs milliers de personnes puissent être perçues comme une question si stratégique, [...] surtout quand on voit que le nombre d’arrivées est extrêmement faible".
Selon Jean-Christophe Dumont, chef de la division migrations internationales à l’OCDE, les arrivées sur les côtes européennes ont, en effet, diminué ces dernières années. Lors de la crise de 2015-2016, près d’un million de personnes sont arrivées, explique-t-il. "En 2020, c’est moins de 100.000 personnes, donc dix fois moins. Et ce chiffre est inférieur à ce qu’il a été il y a des décennies."
Un nouveau pacte sur la migration et l’asile a été présenté par la Commission européenne à l’automne dernier. Il prévoit plus de solidarité entre les États membres dans la répartition des demandeurs d’asile en Europe. Mais les discussions entre les 27 patinent toujours sur ce sujet, notamment en raison de l’opposition de la Hongrie et de la Pologne.
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