Bruxelles
De retour de sa tournée en Asie, le chef de l’Église catholique a admis que Rome était au courant des accusations d’agressions sexuelles visant le fondateur d’Emmaüs, au moins depuis la mort de ce dernier.
"Je ne sais pas quand le Vatican l’a appris. [...] Mais, certainement, après la mort [de l’abbé Pierre, en 2007], c’est sûr. Mais avant, je ne sais pas." Prononcée par le pape François vendredi dernier, cette phrase est à eu l’effet d’une déflagration au sein de la sphère catholique et bien au-delà.
S’exprimant lors d’une conférence de presse dans l’avion le ramenant de son voyage au Vatican après 12 jours de voyage en Asie, le pape François a reconnu avoir été informé depuis des années des violences sexuelles commises par l'abbé Pierre le fondateur d’Emmaüs.
Le chef de l’Église a condamné les abus sexuels qu’il a qualifié de "démoniaques", de "crimes" et de "honte", rappelant qu’"ils détruisent la dignité de la personne."
Le souverain pontife a également appelé à lever le silence qui entoure les violences sexuelles. "On ne doit pas dire : couvrons, couvrons pour que ça ne se voit pas. […] On doit être clairs sur ces choses, ne pas dissimuler, le travail contre les agressions est une chose que nous devons tous faire."
Au sujet de l’abbé Pierre, le pape a admis qu’il était "un homme qui a fait tant de bien", tout en reconnaissant qu’il était "un terrible pécheur".
Après des premières révélations d’agressions sexuelles commises en juillet dernier, l’abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, a de nouveau été visé par des témoignages au début du mois de septembre. Au total, 24 femmes accusent cette figure emblématique de la charité d'abus sexuels, évoquant des baisers imposés, des fellations forcées ou encore des propos à caractère sexuel, certains faits pouvant s’apparenter à des viols ou concerner des mineures de 8 ans au moment des faits.
S’il a reconnu que le pontificat était au courant des accusations d’agressions sexuelles au moins depuis que l’abbé Pierre est décédé, le pape François a aussi admis ne pas avoir enquêté sur l'affaire : "Je ne sais pas à partir de quand le Vatican savait parce que je n’étais pas là et qu’il ne me serait jamais venu à l’idée de lancer une recherche à ce sujet".
En réaction aux propos du Pape François, François Devaux, co-fondateur de l'association "La parole libérée" et lui-même victime de violences sexuelles perpétrées par le père Preynat s’est exprimé sur RMC.
"On en est arrivé à la conclusion que le Pape est un idiot pour ne pas se rendre compte à ce point-là d'être à ce point hors-sol, ça relève vraiment de l'idiotie", a-t-il déclaré au micro de la radio.
Dénonçant l’opacité de l’Église catholique, François Deveaux a ajouté : "C'est assez affligeant de voir le Pape ne pas se rendre compte de la gravité de ses propos et à quel point ils sont en opposition directe avec les enseignements de la Bible. On dit que l'Église fait son travail de transparence en ouvrant les archives de l'abbé Pierre, mais si l'Église n'avait plus peur ce n'est pas seulement les archives de l'abbé Pierre qu'on ouvrirait mais les archives sur les milliers de prédateurs au sein de l'Église."
On ne peut sérieusement imaginer une seconde que cela s’est fait à l’insu de tout le monde.
La présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), Sœur Véronique Margron, s’est également exprimé récemment dans Le Parisien pour dénoncer une omerta dans le milieu catholique :"On ne peut sérieusement imaginer une seconde que cela s’est fait à l’insu de tout le monde. Sur une figure aussi connue, aussi publique, aussi repérée, c’est impossible".
Estimant que le silence sur cette affaire a eu pour but de "protéger la naissance de ce qui allait s’appeler Emmaüs", la représentante religieuse milite pour l’instauration d’"un processus de justice, de reconnaissance, de réparation", à l’image des actions menées après les révélations du rapport Sauvé mené par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).
En levant le délai de communicabilité des archives de l'Église de France concernant l’abbé Pierre depuis jeudi dernier, la Conférence des évêques de France "a apellé à faire toute la lumière, et à lutter résolument et collectivement contre tous types d’abus au sein de l’Église et de la société."
Dans une tribune publiée dans Le Monde Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a reconnu que dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l’abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes. Des mesures ont été prises par le corps de l'Église catholique française, qui a notamment fait suivre une cure psychiatrique à l'abbé Pierre. "On peut les juger insuffisantes, on peut regretter qu’elles aient été gardées très confidentielles. Elles représentent cependant une réaction forte au regard des manières de faire de ce temps, dans l’Église sans doute, mais aussi dans la société entière.", y a expliqué l'archevêque.
Réfléchir à ce qu’est la sexualité et à la manière d’en vivre au mieux est un défi à relever à l’échelle de la société entière.
Formant le vœu que "le Vatican se livre à une étude de ses archives et dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l’a su", Mgr de Moulins-Beaufort a appelé "toutes les autres institutions et organisations à en faire autant". Le responsable religieux considère que le silence autour des abus sexuels dans l'Église relève d'une responsabilité partagée, notamment avec les médias et les autorités politiques. "Des journaux, des magazines, des cercles variés, y compris politiques, ont érigé l’abbé Pierre en figure sociale et construit pour lui, à partir des années 1990, une nouvelle stature de "personnalité préférée des Français". Aucun de ces organismes-là ne semble se demander pourquoi aucune personne victime n’était alors venue lui parler. Désormais, elles le font." souligne-t-il.
L'archevêque affirme la nécessité que toute la société s’interroge sur "ce qu’elle montre de la sexualité aux jeunes générations" : "Chercher des coupables est une chose. Comprendre comment un homme a été laissé à ses pulsions mauvaises est un travail nécessaire. Réfléchir à ce qu’est la sexualité et à la manière d’en vivre au mieux est un défi à relever à l’échelle de la société entière."
La Fondation Abbé-Pierre prévoit quant à elle de changer de nom et de fermer définitivement le centre d’Esteville en Seine-Maritime, lieu dédié à la mémoire du responsable religieux.
Emmaüs France d’ores et déjà a mis en place une commission d’experts indépendants pour "comprendre et expliquer les dysfonctionnements qui ont permis à l’abbé Pierre d’agir comme il l’a fait pendant plus de cinquante ans", tandis qu’Emmaüs International envisage d’indemniser les victimes.
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