Un an que dure le carême ! Un carême sans fin où nous avons été dépouillé d’assurances, de projets, mais aussi de relations, de toucher, et parfois de visages avec la mort de proches. Aujourd’hui toujours, nombre vivent dans l’angoisse pour des êtres aimés. Entrer en ce carême ne relève donc pas de l’évidence !
Peut-être qu’accueillir ce qui vient, alors même que souvent cela pèse lourd, serait le vrai sens de ce carême : recueillir chaque jour, tel qu’il se présente, et marcher encore.
Mais il me semble qu’il faut un viatique à ce voyage incertain. Je crois que c’est encore et toujours, la consolation. Consolez, consolez mon peuple, écrivait le prophète Ésaïe il y a 2600 ans. Consolez mon peuple, paroles éternelles, paroles de toujours.
Consoler ce n’est pas apporter des « paroles pieuses » ni minimiser les douleurs. Consoler c’est consoler de l’inconsolable, l’inconsolable des drames vécus et qui ne peuvent d’effacer, de la vie qui ne peut « revenir comme avant ». Consoler impose d’éprouver en sa chair la perte, la douleur, le malheur de l’autre, alors même que je n’en suis pas affligé moi-même. Car il n’y a pas de consolation véritable sans désolation.
S’approcher des larmes, du corps et du cœur, comme l’écrit magnifiquement BoeÌce : « Elle fit un pli avec son vêtement et se mit aÌ sécher mes yeux inondés de larmes. »[1] Sécher les larmes pour dessiller les yeux, afin de pouvoir regarder plus loin, plus profond.
La consolation en ce temps de covid et de tout le reste, c’est devenir des « être à côté » des autres, qui ne cherchent pas à supprimer la souffrance, mais la souffrance de la souffrance de l’isolement, de la désolation. Faire nôtre cet adage prêtéÌ aÌ Ambroise PareÌ : « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. »
Croire les uns avec les autres, en ce temps qui s’étire douloureusement, que sans prendre la place de l’autre ni effacer sa peine, le partage d’humanité nous offre de ne pas être perdus en ce monde et donne le courage de traverser. Là où le doute et le chagrin isolent, se sentir membre d’une communauté, d’un nous, qui accueille et recueille l’existence telle qu’elle est. Là où la douleur et l’angoisse rendent muet, reconquérir le langage et pouvoir mettre des mots afin qu’elles ne puissent être une brisure définitive du temps et entrouvrir la possibilité d’un « après », sans rien nier de ce qui a été perdu.
Quand Isaie profère ces paroles de consolation, l’épreuve de la déportation, l’Exil, touche à sa fin. Alors croire que la consolation est, au creux de trop de nuits, déjà une aube pascale, celle où l’on se relève.
Véronique Margron op
[1] BOEÌCE, Consolation de la Philosophie, Paris, Payot, Rivages poche, [524] 2006.
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