Près d’un an après le livre enquête "Les Fossoyeurs" publié par Victor Castanet, le groupe Orpea annonce un plan stratégique. Objectif : opérer un virage après les affaires de maltraitance au sein de ses établissements et rassurer les investisseurs.
L’onde de choc est loin d’être passée dans les EHPAD Orpea, 10 mois après la publication du livre "Les Fossoyeurs" par le journaliste Victor Castanet. Le leader mondial des EHPAD a été épinglé pour des faits de maltraitance envers ses résidents, des rationnements de couches ou de produits alimentaires, un management brutal avec les salariés et des malversations financières. Autant de méthodes révélées qui témoignent d’un système dont le principal but était la rentabilité.
Pour les employés, ces révélations ont laissé beaucoup de traces et de souffrances. "C'est très dur quand on en parle dans nos familles. Et certaines familles de résidents sont mécontentes et deviennent agressives alors que tous mes collègues font leur travail avec cœur. C’est un métier de passion, qu’ils ont choisi et ils sont désolés de ne pas avoir suffisamment de temps à consacrer aux patients car ils courent à droite à gauche", témoigne Sylvain Chazal, secrétaire du syndicat UNSA pour le groupe ORPEA.
Des familles de victimes ont entamé une action collective en justice. Près d’une centaine de plaintes ont été déposées par des familles pour homicide involontaire et maltraitance. Des auditions se poursuivent aujourd’hui.
Avec ces révélations, le groupe connaît d’importantes difficultés financières. Son action a plongé de 90 %. Orpea doit aujourd’hui rembourser 9,5 milliards d’euros de dette. "Les gens ont peur que l’entreprise soit vendue par morceaux et qu’il n'y ait plus d’unité", confie Sylvain Chazal. Une situation très incertaine pour Orpea, à qui l’Etat réclame en plus 55 millions d’euros de subventions indues. Orpea en conteste la moitié. Des signalements ont été faits à la justice pour de potentiels détournements de fonds publics.
Le dossier judiciaire est donc épais et les attentes envers la nouvelle équipe de direction très fortes. Celle-ci est menée par Laurent Guillot, le nouveau directeur général nommé en mai. Ancien de l’entreprise Saint-Gobain, il a déjà promis une tolérance zéro. Il doit donc présenter un plan stratégique en rassurant les actionnaires. Une procédure de conciliation a été entamée sous la coupe du tribunal de commerce de Nanterre. Une des solutions proposées par cette nouvelle direction serait déjà de convertir la moitié de la dette en capital. Les investisseurs ne voient pas forcément cela d’un bon œil.
Sylvain Chazal, le représentant syndical UNSA, estime quant à lui nécessaire cette conversion d’une partie de la dette en capital. Il est également très impatient de voir les choses changer avec, il l'espère, plus de dialogue social. Optimiste mais réaliste, il est conscient que "le chantier est colossal et qu’il prendra plusieurs années".
Ces manœuvres financières posent en tout cas à nouveau la question d’un système lucratif privé qui a pu montrer certaines limites, en conduisant à de la maltraitance. "On peut aussi retrouver ces dérives chez des acteurs qui sont non lucratifs. Mais c’est parce que les acteurs lucratifs sont entrés dans le système qu’on a mis en place une forme de rationalisation de l’offre et celle-ci mène à des dérives", analyse Ilona Delouette, économiste à l’IMT Nord Europe, spécialiste de la dépendance.
Faut-il donc attendre des changements considérables avec une nouvelle direction ? On peut espérer plus de contrôles, comme il y en a eu ces derniers mois. Mais le modèle restera le même. "L'objectif de la direction d’un grand groupe est quand même que les actionnaires y gagnent, explique Ilona Delouette. On a ouvert un secteur au privé lucratif et donc maintenant c’est compliqué de leur dire de ne pas faire de profit là-dessus. S’il y a plus de contrôle ça sera plus régulé mais la question reste la même : est-ce que ça a du sens de faire du profit sur des personnes vulnérables ?"
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