Sur l’année 2023, 10 000 migrants ont passé la frontière entre les Etats Unis et le Mexique chaque jour. Un record qui supplante les chiffres de l’immigration pré-Covid et crispe jusqu’à Washington DC. À 11 mois des élections présidentielle le bilan immigration de l’administration Biden est devenu le focus des débats.
En pleine fêtes de Noël, c’est d’urgence que le chef de la diplomatie étasunienne a dû se rendre au Mexique. Face à l’afflux exceptionnel de migrants à la frontière, il a dû entamer des discussions avec le président mexicain Manuel Lopez Obrador. L’objectif pour les États-Unis est clair : il faut des accords pour externaliser le traitement des migrants qui se dirigent vers la frontière, mais sont de moins en moins mexicains.
Car si cette crise migratoire a pour visage la caravane de 15 000 migrants qui traversent le Mexique pour atteindre les USA, la route migratoire qui l’y amène est de plus en plus longue. Pour la première fois selon le Migration Policy Institute, les Vénézuéliens sont la première nationalité à vouloir sauter le mur. 51 % des migrants ne viennent plus d’Amérique centrale mais de plus loin. « Beaucoup viennent d’Amérique latine. Le Nicaragua, Haïti aussi, énumère Lucie Laplace, chercheuse en science politique et spécialiste des migrations forcées en Amérique Latine. Mais il y a aussi de plus en plus d’Africains, particulièrement des Nigériens, d’Asiatiques. » Beaucoup arrivent en Amérique du sud par avion avant de se diriger vers le passage du Darien, jungle qui sépare l’Amérique latine de l’Amérique centrale. « En 2021, le nombre de personnes passants par cette forêt de mangrove a doublé voir plus, » explique la chercheuse.
Le nombre de latino-américains sur les routes vers le rêve américain peut être expliqué par l’instabilité de la région selon Lucie Laplace, mais pas seulement. « Il y a plein de bouts de causes qui se combinent et poussent à partir, comme beaucoup de choses le problème est de plus en plus complexe. » Trois raisons ressortent tout de même : l’économique, la violence des gangs ou politique, et le réchauffement climatique. « Pour des petits paysans, le changement climatique va les appauvrir. C’est une raison citée par 30% des migrants d’Amérique latine. »
Pour créer cette vague d’immigration s’associent des raisons de partir, mais aussi des circonstances favorables. Elles sont cette année créées par la fin d’application du titre 42. En mai dernier cette mesure légale mise en place par Donald Trump pendant la pandémie de Covid a dû prendre fin. Le Titre 42 permettait de reconduire tout migrant à la frontière sans jugement. Elle ne fonctionne cependant que comme mesure d’exception. « Ils se disent qu’on peut de nouveau traverser la frontière illégalement et demander à être entendus une fois de l’autre côté, » raconte Jean Éric Branaa, maître de conférence à Assas et spécialiste des Etats-Unis. Sauf qu’alors que 80% des personnes arrivant à l’audience se voyaient remettre un titre de séjour provisoire avant la pandémie… Seulement 60% le reçoivent aujourd’hui.
« C’est une affaire entre les États-Unis et le Mexique, c’est une affaire électorale. Nous sommes les réfugiés de l’extrême pauvreté et coincés en sandwich entre tout ça, » -Luis Garcia Villagran, qui a pris la tête de la caravane de migrants qui traverse le Mexique.
Pas besoin d’être fin analyste pour comprendre que l’immigration est un point politique sensible entre les deux partis les plus importants des Etats-Unis. De majorité républicaine, le sénat a en décembre conditionné l’approbation d’une aide pour l’Ukraine au durcissement de la politique étasunienne d’immigration. « La politique d’immigration de Joe Biden est en pause, explique Jean Eric Branaa. C’est la première loi qu’il a déposée au congrès après son élection, mais comme il n’y a pas de majorité c’est toujours dans leurs cartons. »
Un moyen pour le camp républicain de critiquer le manque d’action du gouvernement de Joe Biden alors que le blocage est de leur fait selon le spécialiste des Etats-Unis. L’immigration est devenue les sujets principaux de critique du bilan de cette administration. « C’est ce sujet qui a permis de descendre kamala Harris, qui avait été mise en charge du dossier. »
« C’est un sujet très émotionnel aux États-Unis. On voit sur toutes les chaînes ces images de familles qui traversent le Rio grande ou courent à travers la plaine, suivis par des gardes qui ne sont jamais assez nombreux, » raconte Jean Eric Branaa. Une étude du Pew research center a montré que 47% des américains voient l’immigration comme une préoccupation majeure. Une raison forte de se déplacer pour aller voter, pour Jean Eric Branaa.
Particulièrement dans les états du Sud, qui se sentent abandonnés par le gouvernement. Pour faire face aux entrées record ces dernières semaines, plusieurs ont pris des décisions de fermer le trafic automobile ou ferroviaire sur certaines zones. Des mesures fortes portées par des gouvernements locaux républicains avide de prouver leurs réactivités sur le sujet. Au Texas, le nombre d’entrées illégales a diminué de 68% au passage de Big Bend et de 58% à El Paso.
L’ensemble des mesures sécuritaires prisent par Greg Abott, le gouverneur républicain a offert à son parti un avantage de taille qui pourrais faire la différence lors des prochaines élections. « Greg Abott a bien joué cette carte, résume Jean Eric Branaa. La démographie change dans l’état et on annonçait son passage aux démocrates à l’horizon 2024. Il est désormais presque acquis aux républicains. » La prise est de taille : le Texas est maintenant considéré comme un « swing state ». Avec 35 grands électeurs qui votent pour le futur président l’état du sud est décisif pour savoir qui séjournera à la maison blanche en 2025.
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