En recourant, jeudi dernier, à l'article 49.3 de la Constitution, le gouvernement a engagé sa responsabilité sur sa réforme des retraites. Deux motions de censure déposées dans la foulée seront soumises ce lundi au vote des députés. Si aucun scénario n'est à exclure, leurs chances d'être adoptées à la majorité absolue semblent minces. Côté rue, partout en France, le week-end a été ponctué de manifestations sauvages.
Ronds-points bloqués, permanences saccagées, mobilier urbain incendié : la contestation sociale fait régner dans l'air un parfum de gilets jaunes. "On est face à un mouvement social assez classique", tempère Romain Pasquier, politologue, directeur de recherche au CNRS. Un bilan du ministère de l'Intérieur a fait état de 169 interpellations samedi, dont 122 à Paris. Loin des chiffres relevés au plus fort de la crise qui avait surgi il y a quatre ans. "Des négociations qui se passent mal, un gouvernement qui veut passer en force, un mouvement qui se raidit et qui engage l'épreuve de force avec toute une série d'opérations de grèves, de blocages, que l'on connaît et auxquelles la France est habituée", décrit-il.
"Au-delà de l'âge légal de départ à la retraite, ce sont aussi des territoires qui ont un sentiment de déclassement, estime Romain Pasquier. Ce sont des petites villes et villes moyennes qui possèdent un service public important - les collectivités territoriales, l'hôpital sont souvent les premiers employeurs - et donc toucher au secteur public, c'est fragiliser encore des territoires qui ont l'impression de souffrir de déserts médicaux, de mobilités plus difficiles, et d'être éloignés des centres de décision", analyse-t-il, embrassant le constat d'un clivage territorial documenté depuis quelques années par ses confrères Jérôme Fourquet et Christophe Guilluy, entre autres. "Un mouvement social qui part de la question des retraites et s'élargit à la question de la cohérence territoriale de la France", résume-t-il.
"On a une gouvernance française complètement schizophrénique", soupire le politologue, soulevant un paradoxe français. "D'un côté on critique la logique jacobine, descendante, l'hyperprésidentialisme. D'un autre côté, on attend quoi ? Qu'Emmanuel Macron résolve la crise". Il dépeint "une société civile qui souhaite davantage être associée, et ça, la cinquième République en est bien incapable. À moins d'un aggiornamento de rééquilibrage des pouvoirs intermédiaires, c'est-à-dire le mouvement social, mais aussi territoriaux, c'est-à-dire les régions".
La société civile souhaite davantage être associée, et ça, la cinquième République en est bien incapable.
Car il est une étrangeté que nul ne conteste : les appels publics à la décentralisation sont de mode, tandis que les scrutins locaux mobilisent à la marge, intéressent de moins en moins. En juin 2021, les dernières élections régionales avaient déplacé 33% de votants au premier tour, 34% au second.
"Je vois deux scénarios : soit le gouvernement va jusqu'au bout, la motion de censure n'est pas votée, la réforme s'applique et le gouvernement sort très affaibli, comme Emmanuel Macron", suggère Romain Pasquier. "Ou alors le gouvernement, face à une explosion sociale, décide finalement de retirer son texte pour apaiser les esprits... Emmanuel Macron va de toute façon sortir affaibli. Il va sans doute essayer de partir sur d'autres réformes, mais évidemment, pour plusieurs mois si ce n'est plusieurs années, après avoir bousculé, pour ne pas dire violenté, les corps intermédiaires, ceux-ci ne seront pas très enclins à la discussion", parie-t-il.
Le gouvernement s'apprête à défendre un projet de loi immigration dont, à l'issue d'une séquence pour le moins agitée, le parcours parlementaire s'annonce escarpé. Il doit commencer, fin mars, avec l'examen du texte par le Sénat. En juin, il sera débattu à l'Assemblée nationale. Pour le temps calme, on attendra.
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