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"Briser en nous la mer gelée": un livre prophétique d'Erik Orsenna?

RCF,  - Modifié le 3 avril 2020
Christophe Henning nous parle littérature, chaque jeudi. Il nous présente aujourd'hui le dernier roman d'Erik Orsenna "Briser en nous la mer gelée" (éd. Gallimard).
DR - Christophe HenningDR - Christophe Henning

C’est une histoire d’amour, entre deux êtres tellement faits pour s’entendre que rien ne va plus entre eux. Gabriel et Suzanne, mariés sur le tard, finissent par divorcer et le narrateur raconte cet amour impossible au juge qui les a divorcés. « Dommage, dit ce magistrat, je sentais beaucoup d’amour en vous ». Epique et plein d’humour, le roman a des allures de feuilleton à la recherche du temps perdu et des amours jaloux. Gabriel, ingénieur pour écluses, est sous le charme de Suzanne, mais il s’inquiète plus que de raison : vivent-ils vraiment le grand amour ? Encore faut-il le définir, et pas seulement avec des images toutes faites du couple idéal. Gabriel s’interroge, doute, s’épuise, alors que « Rien n’est plus reposant que vivre sa vie. Sa vie et pas une autre ».

Le roman d’Erik Orsenna est arrivé en librairie au début de l’année, avant le confinement, avant l’arrivée du covid-19 et que trouve-t-on dans ces pages ? Une histoire de virus, transmissibles par les chauve-souris, qui sont mieux armées que les humains pour résister car disposant d’un système immunitaire toujours en alerte « leurs interférons – je cite – aident les cellules à résister, par exemple en bloquant la multiplication d’un virus envahisseur. » En faisant de Suzanne une spécialiste des chauves-souris, le romancier devance notre triste actualité. L’aspect prémonitoire de cette histoire n’est pas le sujet du livre, mais comment ne pas être surpris quand on découvre encore, page 287, la description d’un « virus à couronne », c’est-à-dire un coronavirus, objet de recherches stratégiques. Ces digressions, c’est aussi tout l’art d’Erik Orsenna qui nous explique pêle-mêle le fonctionnement d’une écluse, la guerre est-ouest en Alaska ou l’histoire du détroit de Bering… L’académicien s’amuse et c’est pour notre plus grand plaisir.
 
Plus de 400 pages, avec quelques longueurs, mais en temps de confinement, on peut profiter de ces méandres littéraires qui nous distraient, nous parlent d’écriture car le narrateur voudrait écrire un roman, et croise des figures bien connues du milieu, l’éditeur Jean-Marc Roberts, Jean d’Ormesson ou encore l’académicien centenaire René de Obaldia. Académicien lui-même, Goncourt 1988 avec L’exposition Coloniale. Erik Orsenna nous entraîne dans un voyage au pays de l’amour, mais pour cela, écrit-il encore « il faut extirper en chacun de nous le plus mortel des poisons, la peur d’aimer, et la remplacer par quelque chose de tout simple : la confiance. » La confiance, tiens ! On en a bien besoin en ces temps d’épreuve…

 

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