Ils sont une bonne vingtaine, et fêtent ensemble une réussite commune : ils viennent d’obtenir leur bac, leur CAP, leur BTS. Ils viennent de pays différents mais ont en commun d’être tous étrangers, tous demandeurs d’asile et tous mineurs isolés. C’était en juillet dernier, et nous nous retrouvions autour d’une même table, avec quelques bénévoles qui les avaient aidé, soutenu, encouragé depuis un an, deux ans, trois ans, depuis qu’ils ont eu le privilège de reprendre des études. Grâce à des chefs d’établissements au cœur inventif, grâce à la conjonction de beaucoup d’énergies et de beaucoup d’amour, les voici prêts à entrer de plein pied dans un présent possible.
L’autre jour, un curé, interrompant une réunion à laquelle je participais, vient me tirer par la manche « Viens, il y a une surprise pour toi ». Heureux il m’entraine dans le couloir. J’y retrouve un jeune, l’un de ceux-là qui avaient fêté son CAP quelques semaines plus tôt. « Il a quelques chose à te faire goûter : son premier pain au chocolat ». Dans un immense sourire, le jeune boulanger me tend un sac dans lequel, encore chaud, je saisis la viennoiserie. Elle est bonne, délicieuse, magnifique tant chacune de ses miettes transpire la fierté de son auteur. Il ne dit quasiment rien, seul le regard brille. Il sait que désormais il peut penser à vivre dans ce pays qui l’accueille et l’enseigne.
Il est loin le temps où ces jeunes dormaient dehors sous les ponts du Périph, étouffés des images de leur itinérance, des coups reçus, des viols subis, des peurs qui les habitent encore. Il a fallu qu’un jour, chacun, ils entendent prononcer ces simples mots : « que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Ces mots qui les ont sortis de leurs solitudes, de leurs angoisses, de leurs détresses, de leurs morts. Ces mots qui ont été prononcés par des bouches anonymes qui sont devenus des voix fraternelles. Ces mots qui ont été accompagnés d’un geste de la main qui invite à se relever et à marcher jusqu’au lieu du repas, jusqu’au lieu de la vie où ils furent accueillis dans la simplicité d’une amitié qui ne se vante ni ne se gonfle d’orgueil.
Je repensais à tout cela hier soir après avoir failli pleurer de rage d’entendre sur une chaine d’info, pérorer des commentateurs éternels expliquant qu’il fallait de toute urgence se débarrasser de ces mineurs isolés car ils n’étaient que de la racaille, que du déchet. Le sourire triomphant de ce jeune au pain au chocolat, ramené au cri de haine d’un jeune terroriste au hachoir brandi. Oser prêter à la main qui veut tuer plus de confiance qu’à la main qui nourrit… Le faire avec cet aplomb et cette ignorance qui caractérisent tant de ces prophètes de malheur adeptes du « y a qu’à » qui ne savent rien ni du Droit qui s’applique ni des règles internationales…
Sans ignorer le mal, il convient décidément de fixer résolument le regard sur le Bien. Sans nier les problèmes et les difficultés, il me semble décidément plus évangélique de se mettre à l’écoute des témoins de la Bonne Nouvelle et de ceux qu’ils rencontrent, plutôt que de se laisser hypnotiser le cœur par les paroles de haines ou par la menace qu’elles agitent. En un mot, choisir ce qui conduit à la vie plutôt que de tomber dans ce qui entraine vers la mort…
Le Père Benoist de Sinety est curé de la paroisse Saint-Eubert (Lille). Il est l'auteur du livre "Il faut que des voix s’élèvent" (éd. Flammarion, 2018). Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
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