Depuis une semaine, la France commémore la fin de la Première Guerre Mondiale. Et pour la troisième édition, la grande collecte nationale des archives familiales a été relancée lundi dernier. Elle a pour but d’inciter les familles à ressortir leurs documents ayant trait à la Grande Guerre. "Les souvenirs sont très nombreux. Les deux premières collectes ont eu un très grand succès. 20.000 personnes sont venues déposer des objets, des documents, en masse. Tout cela était d’une très grande richesse. Il est difficile de savoir les profondes motivations des familles. Moi je crois que tous ces objets sont des reliques, des objets de deuil, qui sont devenus des objets de filiation. Le centenaire donne l’occasion à ces familles de rendre publiques ces histoires individuelles" explique Clémentine Vidal-Naquet, historienne de la Grande Guerre, spécialiste du couple et de l’intime pour 14-18.
"Chaque histoire recèle des surprises inattendues, plus ou moins touchantes, plus ou moins bouleversantes, plus ou moins en décalage avec ce que l’on sait. Par exemple l’histoire d’un enfant qui écrit à son père alors qu’il ne sait pas écrire lui-même. C’est sa mère qui tient la plume et l’on voit une écriture hésitante, qui devient propre, qui s’affine au fur et à mesure des années. Ou encore la correspondance de deux veuves dont les maris sont morts le même jour au cours du même combat. L’une sait que son mari est mort sur le coup. L’autre sait que son mari est mort après avoir agonisé de très longues heures. Ce qu’on y lit est très rare : l’extrême souffrance lui fait avoir de mauvais sentiments" ajoute-t-elle.
L’historienne précise que "la grande particularité de la Grande Guerre c’est que la mobilisation de masse mobilise des hommes et des femmes qui savent tous écrire. Même si elle a très peu l’occasion d’écrire, cette génération prend la plume. C’est toute la difficulté. On la découvre. Les femmes écrivent. Les hommes écrivent aussi massivement. La lettre est gage de vie. Même lorsque les cartes sont très courtes, on envoie massivement des cartes. L’écriture est presque quotidienne. Par jour, dans l’armée française, six millions de lettres sont échangées avec l’arrière".
Il y a les courriers, et les objets. Dans les tranchées, les poilus ont développés un véritable artisanat de guerre. "Il y a du matériel militaire, mais aussi des douilles d’obus gravés, des bagues fabriquées dans les tranchées. De nombreux objets que l’on envoyait avec les correspondances dans les colis à l’arrière et qui restent des traces de cette Grande Guerre" raconte encore l'historienne. Des objets qui sont restés dans le cadre familial, et qui "racontent l’omniprésence de la guerre, encore aujourd’hui, au sein des familles".
Spécialiste de l’intime et du couple pendant la Grande Guerre, Clémentine Vidal-Naquet fait remarquer qu’à travers ces correspondances, une chose nouvelle émerge : "l’expression écrite du sentiment amoureux, et du désir sexuel, chose absolument nouvelle. C’est la première fois que l’on écrit aussi massivement son désir, parfois avec beaucoup de pudeur. Et la censure se préoccupe assez peu de ces histoires amoureuses. La Première Guerre Mondiale annonce ce que va devenir le couple moderne en France" conclut-elle.
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