Marseille
Certains médicaments, notamment le Doliprane pour enfants et l'Amoxicilline, manquent dans les pharmacies. En cause notamment, une forte demande à cause des maladies de l'hiver mais les racines du problème sont bien anciennes.
"Vous avez deux heures devant vous ?" La réponse de Pierre-Olivier Variot ne manque pas d’ironie lorsqu'on lui demande ce dont les pharmacies françaises manquent aujourd'hui. "On manque de beaucoup de choses, détaille le président de l'Union des syndicats de pharmacies d’officine (USPO). En particulier les médicaments à base de paracétamol surtout dans ses formes pédiatriques, donc le Doliprane, et puis aussi l’Amoxicilline. Il y a énormément d’autres médicaments. Il doit manquer à peu près 2500 à 3000 molécules. Ce sont des anti-cancéreux, des insulines, des anti-diabétiques, des anti-douleurs."
Une situation très difficile à gérer pour les pharmaciens qui doivent faire face, souvent, à l’angoisse des patients, à leur colère également. "Au bout de la chaîne, c’est le patient qu’on pénalise. Parfois on arrive à trouver son médicament, parfois on trouve un générique et parfois on ne trouve rien et on est obligé de changer de traitement avec l’avis du médecin, explique Pierre-Olivier Variot. Ils perdent également beaucoup de temps à devoir trouver des solutions de repli. "Le temps que le pharmacien prend pour trouver un médicament ne fait que croître. Il avait été estimé à six heures il y a deux ans. Aujourd’hui c'est dix heures par semaine, dix heures de temps pendant lequel je ne peux pas me consacrer à mes patients, et ça ce n'est pas normal."
Une situation qui existe depuis une quinzaine d’années selon ce pharmacien, aggravée par la crise sanitaire qui a fait augmenter la demande, par exemple, de doliprane. Il y a aussi cet hiver de nombreux cas de grippe, de bronchiolite chez les enfants. Une demande de médicaments trop forte pour une production qui a beaucoup faibli. "Beaucoup des principes actifs des médicaments sont produits en Chine et en Inde. Le fait qu'en Chine on ait des arrêts de production liées à la politique zéro Covid est une des raisons. On a aussi des problèmes sur les composants comme les flacons de verre", précise Nathalie Coutinet, économiste de la santé, enseignante chercheuse à l’université Sorbonne Paris-Nord.
Toutefois, selon cette spécialiste, on ne peut pas faire reposer la situation seulement sur l’épidémie ni d’autres facteurs du moment. Il y a des problèmes plus profonds, qui tiennent à l’organisation de la production de médicaments. Une production fragmentée en plusieurs étapes localisées chacune dans des pays où c’est moins coûteux. Ce qui peut provoquer des ruptures de chaînes de production, du retard.
Un autre facteur permet d'expliquer ces tensions d'approvisionnement : les prix des médicaments. En France, ils sont faibles par rapport aux autres pays européens. Ce qui rend le pays moins attractif pour les producteurs. "On a plutôt tendance à être livré après d’autres pays. D'autre part, pour les grossistes répartiteurs qui vendent aux pharmaciens, il est plus important pour eux d’exporter vers des pays avec des prix plus élevés", analyse Frédéric Bizard, économiste de la santé. L'USPO demande beaucoup plus de transparence.
Pour certains observateurs, économistes ou élus, cela souligne le besoin de relocaliser la production en France ou a minima en Europe. C'est ce que la crise sanitaire avait mis en lumière souligné. On se souvient de l’annonce de l'ouverture d'une usine de fabrication de paracétamol à Roussillon en Isère. Mais la commercialisation de ses produits ne sera possible qu’en 2025.
En attendant, il est donc impératif de mieux anticiper nos besoins, notamment pour l’année prochaine. Selon Frédéric Bizard, il faut "des prévisions en matière de santé publique sur les grandes pathologies. Pour ensuite transmettre une feuille de route aux fabricants, en demandant en fonction des parts de marché de respecter cette feuille de route en considérant un stock d’au mois deux mois en fonction de ces prévisions-là."
Une urgence à régler sur laquelle comptent se pencher les sénateurs communistes en lançant une commission d'enquête, qui devrait se tenir en janvier. "Il y a besoin de chercher comment planifier la recherche et la production de médicaments en France, voir comment relocaliser la production… Il y a plein de questions et on voit pertinemment qu’on reste sur les mêmes non-réponses. Il n'y a aucune anticipation", affirme Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne.
De son côté le gouvernement promet que la situation est en train de s’améliorer et incite les Français à ne pas faire de réserves.
Chaque matin à 7h10, les journalistes de RCF décryptent un sujet d'actualité en profondeur, dans la Matinale RCF.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !