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Comment l'Église va-t-elle indemniser les victimes d'abus sexuels ?

Un article rédigé par Clotilde Dumay - RCF, le 19 novembre 2021 - Modifié le 30 septembre 2024
Le dossier de la rédactionComment l’Église va-t-elle indemniser les victimes d’abus sexuels ?

​À l’instar de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), la Conférence des évêques de France (CEF) a, elle aussi, décidé d’instaurer une commission indépendante chargée d’identifier et d’indemniser les victimes d’abus sexuels. Un fonds de dotation va être abondé par les réserves des diocèses, et de potentielles ventes de biens. Précisions.

Traces de mains sur un mur de béton. ©UnsplashTraces de mains sur un mur de béton. ©Unsplash

La première étape a été franchie lorsque les évêques ont reconnu la "responsabilité institutionnelle de l’Église dans les violences subies par les personnes victimes", et la "dimension systémique de ces violences" - cette reconnaissance entraînant alors, d’après l’épiscopat, "un devoir de justice et de réparation".

La Conférence des évêques de France (CEF) a donc décidé, lundi 8 novembre, de mettre en place, une instance indépendante, justement chargée de cette reconnaissance des victimes, et de leur indemnisation.

C’était l’une des recommandations du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), rendu début octobre. "C’était une voie inattendue il y a encore quelques semaines, s’étonne Patrick Goujon, jésuite et théologien, victime d’abus sexuels commis par un prêtre lorsqu’il était enfant. C’est une manière concrète de signifier que quelque chose a été atteint. On ne peut pas le signaler que symboliquement."

"On va tout passer en revue"

L’épiscopat ne prévoit pas de faire appel aux dons des fidèles pour participer à cette indemnisation des victimes. Tout doit être financé avec le Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs (Selam), qui fonctionne déjà depuis fin septembre 2021. Jusqu’à présent, il était doté de 500.000 euros, mais la Conférence des évêques de France prévoit de l’abonder autant que nécessaire, en puisant dans les réserves des diocèses, et en se dessaisissant, si besoin, de biens matériels ou immatériels de l’Église. "On va aller voir ce qui n’est plus utilisé pour la pastorale, indique Ambroise Laurent, le secrétaire général adjoint de la CEF en charge des questions économiques, sociales et juridiques. On le fait déjà, puisque nos charges sont supérieures à nos ressources (620 millions d’euros contre 490 millions). Ce déficit de fonctionnement courant, on le couvre grâce à des legs et des cessions d’actifs. Donc on ne regarde pas que les immeubles. Mais il n’y a aucun tabou, on va tout passer en revue."

L'Église posséderait environ 50.000 immeubles, hors églises

Le nombre de victimes qui demanderont réparation n’est pas encore connu. Et l’ampleur et la valeur du patrimoine de l’Église est difficile à estimer. Mais une chose est sûre : le patrimoine immobilier a évidemment été chamboulé après la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État. "À l’époque, l’Église a refusé d’appliquer la loi et de créer des associations cultuelles qui devaient récupérer les biens appartenant alors à l’État, rappelle Nicolas Cadène, cofondateur de l’association Vigie de la laïcité. Les églises ont donc été transmises aux communes, et les cathédrales à l’État. Puis en 1924, les catholiques vont créer des associations diocésaines qui posséderont les églises construites après 1905." Sur les plus de 40.000 églises et chapelles qui existent en France, d’après les chiffres de la CEF datant de 2016, l’Église n’en a construites après 1905, et donc n’en possède réellement qu’environ 2.000. Mais la vente de ce type d’immeubles est, de toute façon, moins envisagée que celle de biens à usage pastoral ou qui ne sont pas dédiés directement à l’exercice du culte. De ceux-là, l’Église en posséderait environ 50.000, d’après Nicolas Cadène.

Doter le fonds d'indemnisation de 20 millions d'euros début 2022

Faut-il, pour autant, prendre le risque d’appauvrir l’Église et d’en faire pâtir l’ensemble des fidèles ? "Indirectement, les biens viennent d’eux, reconnaît Jean-Marc Sauvé, le président de la Ciase. Mais il est préférable de procéder de cette façon, car certains éléments du patrimoine ne sont plus liés aux fidèles depuis des dizaines d’années. Ce sont ceux d’aujourd’hui qui ne doivent pas, à titre principal, être sollicités." Et puis, d’après Ambroise Laurent, il n’y a pas vraiment d’inquiétude à avoir pour le moment : "Les dons des fidèles, qui représentent 480 millions d’euros, continueront de servir exclusivement les besoins de la pastorale, assure le secrétaire général adjoint de la CEF en charge des questions économiques, sociales et juridiques. Un diocèse, qui pouvait avoir un an de fonctionnement en réserve, n’en aura plus que six mois. Mais on va continuer à avoir des activités de pèlerinages ou de synodes diocésains, par exemple. L’enjeu, c’est de se mettre en position de fragilité plus importante." Pour l’instant, l’objectif est d’abonder le fonds de dotation à hauteur de 20 millions d’euros d’ici le début 2022.

L'exemple de la Belgique

La France pourrait en tout cas s’inspirer d’autres pays ayant déjà mis en place des systèmes d’indemnisations pour les victimes d’abus sexuels dans l’Église : États-Unis, Australie, Pays-Bas, Allemagne, Irlande ou encore Belgique. Là-bas, par exemple, la fondation Dignity a été créée, en 2012, pour distribuer les réparations financières. Elle est abondée "par les diocèses et les ordres religieux, et aussi par les contributions des auteurs d’abus sexuels toujours vivants", indique le père Tommy Scholtes, porte-parole francophone de la Conférence des évêques de Belgique. Les barèmes des indemnisations vont de 2.500 à 25.000 euros. Ainsi, entre 2012 et 2017, la fondation Dignity a versé près de 4,6 millions d’euros, pour indemniser 855 victimes sur le millier qui s’est déclaré. À titre comparatif, avec des barèmes équivalents en France, on arriverait à plus d’1,7 milliards d’euros de réparations pour les 330.000 victimes décomptées par la Ciase. Mais pour l’instant, on ne sait pas encore si elles seront plus ou moins nombreuses à demander une indemnisation, ni quels barèmes seront finalement retenus.

À noter que, du côté de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), une commission indépendante de reconnaissance et réparation va également être mise en place. Un fonds de dotation est prévu pour les personnes victimes dans des instituts fermés ou "dont la défaillance financière serait avérée". Il sera alimenté "exclusivement par la solidarité des instituts religieux membres de la Corref", d’après la Conférence.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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