Ce dimanche 20 novembre débute la Coupe du monde au Qatar. Un événement qui questionne, puisque le pays n’a aucune tradition footballistique et ses températures se prêtent mal à la pratique sportive. En février 2021, The Guardian a révélé un nombre important de morts dans les travaux d’infrastructures. Depuis, le Qatar bénéficie d'une couverture médiatique grandissante, qui ne joue pas nécessairement en sa faveur.
Derrière les très attribués mots de "scandale humain et écologique" se cachent des réalités alarmantes. Sabine Gagnier travaille sur le dossier du Qatar à Amnesty International. C’est depuis l’annonce du déroulement de la Coupe du monde au Qatar en 2010 que l’organisme se bat. Les membres de l'ONG demandent une transparence vis-à-vis les droits humains, et se sont penchés sur les conditions des travailleuses domestiques. Pour Sabine Gagnier, "c’est en attirant la lumière sur cet événement qu’on va pouvoir faire en sorte que les personnes puissent travailler dans des conditions dignes".
Et pour accueillir le million de spectateurs attendu pendant le tournoi, il a fallu trouver une "main d'œuvre gigantesque de travailleurs migrants", explique Sabine Gagnier. Sur les plus de deux millions de personnes actuellement sur le territoire, 300 000 sont des citoyens qataris. Les autres sont pour beaucoup des travailleurs qui viennent des pays d’Asie du Sud-Est, du Nigéria ou du Kenya. En venant au Qatar, ils s’endettent. "On leur promet monts et merveilles, mais une fois sur le terrain ils touchent moins que prévu, voire ils ne sont pas payés", dénoncent les intervenants. Les causes de mort sont dues au stress thermique, au manque de sécurité ou à l’obligation de travailler sous des températures aussi élevées. Si le Qatar a créé un fonds pour indemniser les travailleurs non payés, cela ne concerne pas ceux qui sont moins payés. Les conditions de vie restent inhumaines : les ouvriers sont entassés dans des chambres avec des conditions d'hygiène déplorables. Gilles Paché est professeur en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille. Il nuance en citant le chiffre de 380 morts par an sur les chantiers en France : "si on fait le calcul avec le Qatar, ça fait environ 550 morts par an". Sabine Gagnier rappelle que le Qatar ne reconnaît officiellement que trois morts.
D’un point de vue écologique, on a beaucoup entendu parler des avions navettes qui allaient être affrétés pour l'événement. Gilles Paché évoque les nombreuses infrastructures hôtelières, les stades et les aéroports érigés pour l’occasion. Les infrastructures sportives ne seront ni rentabilisées ni réutilisées : "on a habillé de vert la notion de stades démontables. C’est une aberration". L'événement permet au Qatar d’asseoir un important soft power. "La maison brûle", alerte le professeur de gestion. Le jour où les consciences commencent vraiment à s’éveiller est peut-être arrivé. D’autant que l’engagement des activistes d’une nouvelle génération donne espoir.
Ces différents scandales questionnent sur la gouvernance du football. La responsabilité de la FIFA est majeure. Amnesty International demande à la FFF de pousser la FIFA à créer un fonds d’indemnisation et d’aller enquêter auprès des prestataires. "Depuis au moins 2013, on alerte la FFF en demandant des actions concrètes sur le sujet. On les a interpellés à plusieurs reprises, ça commence à bouger. Ce qu’on attend ce sont des preuves, une transparence sur leur visite", espère Sabine Gagnier. Il faut maintenant que "ça bouge" de l’intérieur pour montrer une conscientisation. Pour Gilles Paché, les sponsors devraient se retirer : ce serait une action puissante qui exercerait une pression sur la FIFA. Les intervenants soulignent que ce n’est ni la première fois, ni la dernière fois que l’organisation d’un événement sportif pose problème : en 1978, la Coupe du Monde en Argentine avait lieu sous une dictature tortionnaire. En 2029, l'Arabie Saoudite sera le théâtre des Jeux olympiques d’hiver asiatiques. Pour contrer ces "situations éthiquement insupportables, il faut frapper au portefeuille", souligne Gilles Paché.
La FIFA annonce que le mondial va générer 3,63 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Les principales sources sont les stades climatisés. D’autant que sur huit stades, sept ont été construits pour l’occasion. Gilles Paché souligne les techniques de greenwashing "de plus en plus sophistiquées : la FIFA et les organismes qataris ont fait en sorte que tous les matchs aient lieu dans la même ville. Et la FIFA assure la neutralité carbone de l’événement en payant des acteurs qui réduiront leurs émissions". Seulement, les émissions ont été sous-évaluées et tout cela ressemble étrangement à une "brillante stratégie de communication".
"En attribuant au Qatar la Coupe du monde 2022, c’est une erreur de plus qui a été commise". Gilles Dufrasne est chargé de mission Tarification du carbone pour l'ONG Carbon Market Watch. La FIFA s’apparente selon lui à un "État dans l’État". Les footeux, s’ils mettent leur énergie en commun, pourraient avoir une influence à leur échelle. En tous cas, cette Coupe du monde permet de donner un coup de projecteur sur des problématiques d’envergure. "Ça pourrait être positif pour améliorer une situation qui aurait pu laisser indifférente la planète entière", estime Gilles Dufrasne. Avant de noter : "on ne peut pas priver les sportifs de cet événement". Il s’agit donc de le penser différemment. Il en va de la responsabilité des footballeurs de faire émerger une responsabilité sociétale en jouant de leur influence.
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