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« On se sent vraiment comme un morceau de jambon », à l’hôpital, la parole se libère autour des agressions sexuelles

Un article rédigé par L.D. - RCF, le 23 avril 2024 - Modifié le 23 avril 2024

C’est au tour de l’hôpital de faire son Me Too. Mercredi 10 avril 2023, l’infectiologue Karine Lacombe qualifie le médecin urgentiste Patrick Pelloux de "prédateur sexuel". Un témoignage à visage découvert qui a suffi à libérer la parole. Depuis les témoignages s’enchaînent sur les réseaux.

49% des étudiants en études médicales ont déjà subi des remarques sexistes en stage. 49% des étudiants en études médicales ont déjà subi des remarques sexistes en stage.

Si la parole semble se libérer aujourd’hui, les signaux d’alarme ne sont pas nouveaux. En 2020 déjà, Amélie Jouault et Sara Eudeline déposaient des thèses sur les violences faites aux étudiants en médecines. Deux internes sur dix en France y avaient répondu. 53,5% des répondants déclaraient avoir été victime de violences sexistes et sexuelles, au cours de leur cursus. 3% avaient subi une agression sexuelle.

L’année suivante, l’Association Nationale des étudiants de Médecine de France a publié à son tour une étude : pendant leurs six premières années d’études, 49% des étudiantes ont reçu des commentaires sexistes pendant leurs stages. Selon Florine Sullenot, présidente du syndicat des internes de médecine générale (Isnar-IMG), prendre la parole dans ce contexte est dur. « Tu exagères » et « c’était pire de mon temps » sont des réponses communes. « Les carrières brisées sont une réalité », rappelle-t-elle. 

Des expériences traumatisantes et une grande omerta

C’est le cas de Remi Lessage, infirmier urgentiste et cofondateur de Silence sous ma blouse. Il a subi une agression sexuelle en 2018 et la décrit avec des mots crus : 

Je me suis retrouvé avec un médecin que je ne connaissais pas pour une grave intervention. Je me souviens très bien de la scène, je regardais les policiers et les pompiers et je sens une main m’agripper le cul. J’utilise ce mot parce que dans ce cas, on est vraiment un morceau de jambon. Au début je ne comprenais pas. En tant qu’homme on est pas préparé au fait qu’on puisse subir ça. Et puis j’ai vu ses yeux et j’ai compris. J’ai pas voulu réagir parce que si je le faisais je pense que je le tuais. Quand je suis retourné dans l’ambulance, j’ai immédiatement raconté l’incident à mon collègue urgentiste. Il a juste rigolé

S’en suit deux autres attouchements. et des aveux des faits du médecin devant témoins. Aujourd’hui, l’agresseur de Remi Lessage a été blacklisté de la région, mais exerce toujours. L’affaire n’est toujours pas passée devant la justice. 

La faute à la "culture carabine"

Pour les associations, deux facteurs pourraient expliquer cette surreprésentation des agressions sexuelles dans le milieu médical. La première est la culture carabine, un ensemble de règles sociales coutumes et humour dans le monde de la santé. « C’est pour créer une cohésion dans le groupe d’étudiant en santé, explique Florine Sullenot. Mais c’est imprégné de ce qu’on appelle la culture du viol. Elle banalise le sexisme, les agressions sexuelles, les comportements homophobes. »

L’exemple type pour Florine Sullenot est la coutume des fresques carabine ou fresques de salle de garde. « Elles peuvent être pornographiques, homophobes et parfois même représentent des scènes de viol dans les salles communes des internats. Alors qu’on mange tous les jours dedans. » 

Suite à une décision du 17 janvier 2023, les fresques carabines des salles de gardes ont été retirées. Une attaque à l’art "grivois" selon certains. Un mot qui revient souvent dans les débats autour du sexisme dans l’hôpital. En réponse aux accusations de Karine Lacombe, Patrick Pelloux nie. Pour l’urgentiste son attitude était seulement "grivoise". "C’est tellement normal, se rappelle Remi Lessage. C’est tellement ancré que ceux qui ne trouvent pas ça normal, on les flingue. On leur dit qu’ils ne sont pas adaptés au milieu".

La hiérarchie en cause

Autre piste de réflexion sur l’omniprésence du sexisme et des agressions dénoncées par Me too hôpital : la hiérarchie. Dans son étude publiée en 2021, l’Association nationale des étudiants en médecine (ANEMF) révèle que l’immense majorité des faits de harcèlements en hôpital sont réalisés par des supérieurs hiérarchiques.

"L’administration va peu s’en prendre à un médecin. Elle va préférer demander à la victime de partir ou d’être mutée", se désole Remi Lessage. Pour lui, la mise en place de la tarification à l’acte a accentué l’invulnérabilité de ceux qui ont l’autorité de prescrire. "Le médecin fait gagner de l’argent à l’hôpital alors que les autres représentent des salaires. C’est malheureux et à cause de ça les hôpitaux défendent parfois des agresseurs pour des raisons autres que morales". 

Les étudiants en première ligne

Invitée sur le plateau de C à Vous jeudi 18 avril, l'ancienne ministre de la Santé Roselyne Bachelot parle de bizutage où les étudiantes devaient montrer leur sexe aux étudiants. "Toute cette culture commence à l’école, pour moi l’Institut de Formation aux Soins Infirmiers", raconte Remi Lessage. Apprendre la culture, être en bas de l’échelle hiérarchique, les étudiants sont particulièrement vulnérables. Ce qui explique que la plupart des recherches sur le sujet soient faites par leurs syndicats. Mais cette dernière semaine, le sujet semble avoir pris de l’importance. 

L’espoir est là, mais pour Florie Sullerot, il était déjà là en 2020 après les premières études sur le sujet. "Les ministres de l’enseignement supérieur et de la santé de l’époque, Frédérique Vidal et Olivier Véran, avaient publié une lettre ouverte qui prônait une tolérance zéro et un soutien total aux victimes, se souvient-elle. Aujourd’hui y’a quand même très peu de choses qui ont été mises en place, et même aucune uniformisation nationale. On ne peut pas dire qu’il y a une une évolution sur les violences sexistes et sexuelles". 

Pourtant l’intersyndicale des internes de médecine générale a fait des propositions au ministère selon sa présidente. Quand en 2021 ils créaient un poste consacré aux violences sexuelles et sexistes, le syndicat proposait la création au sein de chaque CHU d’une cellule dédiée, ou encore des formations. Selon Florie Sullerot, très peu ont été mis en place pour l’instant.

Vendredi 20 avril, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux a promis sur le réseau social X, de réunir rapidement "associations, employeurs et professionnels" pour "travailler sur une réponse globale et ferme».

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