Loin des valeurs républicaines et laïques chères à la France, l’organisation des Frères musulmans voit la théocratie comme un régime idéal. Entrée dans le jeu politique dans les années 2010 au sein de pays arabes, “la confrérie”, d’abord secrète, tente depuis de réinstaller le califat. De son expansion au Moyen et Proche-Orient à ses liens tentaculaires tissés en Europe, la chercheuse Florence Bergeaud-Blacker, décrypte le phénomène.
Les discours séparatistes sont dans le viseur du gouvernement et du droit français. La justice administrative se prononce ce lundi 26 février sur l’arrêté d'expulsion de l’imam marocain Hassan Iquioussen, pris en juillet 2022. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait fait de cette décision un symbole de lutte contre les discours hors du champ républicain. Un combat déjà porté par le président de la République en octobre 2020, lors de son discours sur le thème de la lutte contre les séparatismes. Il pointait notamment les “pouvoirs politiques” et “organisations privées”, qui ont “poussé ces formes les plus radicales”. Parmi elles, “les frères musulmans”, qui portent aussi “un message de rupture”.
La société des Frères musulmans trouve son origine en Egypte en 1928. Organisation islamiste sunnite transnationale, elle est fondée par l’érudit et professeur islamique Hassan al-Banna, et répond à un objectif officiel : la renaissance islamique et la lutte non-violente. Plusieurs décennies plus tard, force est de constater que le ton a changé.
Au début, “c’est une blessure qui amène à créer la confrérie des Frères musulmans en 1928”, avance Florence Bergeaud-Blackler, auteure du livre “Le Frérisme et ses réseaux”, aux éditions Odile Jacob. Une blessure observée quatre ans plus tôt lors de l'abolition du califat. “Nous, en Europe, on a considéré que c’était un phénomène normal. Nous n’avons pas vu que c'était un très grand traumatisme et un rejet presque immédiat d’une grande partie du monde musulmans”, souffle l’anthropologue qui voit en cela “un traumatisme”. “C’est un petit peu comme si on décapitait le pape. Tout d'un coup, il n’y a plus Rome. Il faudrait imaginer quelle serait la réaction des catholiques”.
Hassan al-Banna crée donc la confrérie des Frères musulmans. “Un homme de son temps”, explique la chercheuse qui observe chez lui “une éducation à la fois rigoriste et de sophiste”. Le professeur islamique met alors en place “une sorte de milice qui se présente au départ comme une aide sociale”. Il veut “remplacer l'Etat défaillant”, assure Florence Bergeaud-Backler.
Des décennies plus tard, le réseau tentaculaire des Frères musulmans, s’étend en France et en Europe. “Le projet se radicalise. Certains vont s’expatrier dans les pays occidentaux”, car “ils ont la liberté de réunion, la liberté d’expression”, détaille Florence Bergeaud-Backler. “Ils ont un projet d’islamisation”.
Pourtant, lors de l’écriture de son ouvrage “Le Frérisme et ses réseaux”, publié aux éditions Odile Jacob, Florence Bergeaud-Backler assure que ça lui “a pris énormément de temps pour comprendre comment on pouvait définir la confrérie dans un espace sécularisé, très loin du lieu de naissance”. Dans son enquête, elle s’est d’abord interrogée : “Comment pensent ‘les frères européens’ ?”. Implantée en Europe dès les années 1960, la confrérie a recruté parmi les jeunes issus de l’immigration. À cette époque, “ils ont des méthodes qui n’étaient pas adaptés à la mentalité des jeunes issus de l’immigration musulmane”. Les Frères musulmans se sont donc adaptés. Les jeunes avaient besoin de “paroles cash”. “Ils ont redéfinit leur façon de prêcher. Toujours en orientant vers la prophétie califale, en essayant d’islamiser le monde”, assure l’anthropologue.
Aujourd'hui, les Frères musulmans jouent sur cet aspect de société secrète. “Leur projet est subversif et donc pour la démocratie, il est inaudible. Le frérisme est intelligent et a bien compris qu’il ne pourrait pas se heurter de plein fouet, frontalement, aux démocraties”. Il utilise donc les droits fondamentaux de nos régimes occidentaux, contre les régimes occidentaux. “Ils usent des principes démocratiques, la liberté d’expression, contre la démocratie et pour la théocratie”.
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