L'Amazonie a-t-elle atteint un point de non-retour ? Un rapport publié mardi 6 septembre pointe "la savanisation" de la plus grande forêt tropicale du monde. Entre réchauffement climatique, activité humaine et incendies d'une ampleur inédite, le "point de bascule" redouté par les spécialistes depuis des années pourraient être atteint.
Un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes publiait un rapport début septembre pointant le déséquilibre environnemental catastrophique qui est en train de se dérouler en Amazonie : la plus grande forêt tropicale devient une savane, mettant en péril l'écosystème de la région.
Plusieurs facteurs expliquent cette prise de position inquiétante des organisations environnementales d'Amérique Latine : le réchauffement climatique, l'activité humaine qui ne cesse de déforester pour défricher illégalement des terres agricoles, mais aussi les départs de feu, toujours plus nombreux en 2022. Sur les huit premiers mois de l’année, l’Institut national de recherche spatiale au Brésil a détecté 46 022 foyers d’incendie dans la région. Un chiffre en augmentation de 16 % par rapport à la même période l’an dernier.
Pire encore : l’Amazonie brésilienne a vécu son pire mois d’août depuis 12 ans. Un constat extrêmement alarmant, selon Pierre Cannet, directeur plaidoyer de l'ONG WWF. "Au rythme actuel, il y a une dégradation sévère qui risque de nous amener à une Amazonie qui servira moins au niveau mondial du point de vue puit de carbone. Mais également au niveau local, dans la biodiversité et la sauvegarde des animaux qui y vivent et des populations locales", prévient l'activiste. Effectivement, selon l'ONG, la plus grande forêt tropicale du monde représenterait 50 à 70 % de la biodiversité mondiale. "Je ne veux pas dire que l'Amazonie sera rayée de la carte mais on ne peut pas continuer au rythme actuel", s'alarme-t-il.
L'écosystème de la région pourrait-il ne jamais retrouver un équilibre ? La savanisation est-elle réellement en marche en Amazonie ? Tous les spécialistes ne sont pas unanimes sur la question. Si le rapport publié par les populations locales assure que c'est déjà trop tard pour revenir en arrière, Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour l'association Canopée Forêts Vivantes, se montre plus mesuré. "Aujourd'hui, la sonnette d'alarme, c'est attention, on commence à voir des effets de bascule. Est-ce qu'on les a franchis ou pas ? On n'en sait rien. Il n'est pas trop tard pour agir", appelle Sylvain Angerand.
Cependant, les spécialistes s'accordent à dire que le déséquilibre de l'écosystème de l'Amazonie aura des conséquences à plusieurs échelles. "On donne souvent l'image du poumon, mais en réalité, c'est presque un poumon inversé. L'Amazonie va absorber énormément de dioxyde de carbone - c'est un gaz à effet de serre - et donc cela va éviter un emballement climatique". Mais ce n'est pas le seul rôle de la forêt pluviale brésilienne. "C'est aussi une immense machine à réguler le cycle de l'eau : les arbres pompent de l'eau dans les sols, transpirent. Cela fait des nuages, de la pluie et les arbres repompent, etc. Si vous faites disparaître les arbres, vous cassez cela", raconte le spécialiste des politiques forestières.
Derrière les enjeux de réchauffement climatique, se cache également l'épineuse question des politiques environnementales menées par les gouvernements brésiliens. Si, dès les années 1970, une politique volontariste de l'État de colonisation a eu des conséquences sur la déforestation de la forêt, il faut attendre le début des années 2000 pour entamer une réelle prise de conscience climatique du gouvernement brésilien.
Sous la présidence de Lula, "entre 2004 et 2012, la politique gouvernementale brésilienne a réussi à réduire la déforestation en Amazonie brésilienne de 80 %". Ainsi, la destruction, qui était de 2,7 millions d'hectares en 2004, a été réduite à 460 000 hectares en 2012. Cependant, "depuis 2019, la déforestation ne cesse de progresser et dépasse chaque année un million d'hectares", détaille Plinio Sist, habitant du Brésil dans les années 2000. Une augmentation, corrélée au relâchement des contrôles qui inquiètent les spécialistes des forêts tropicales.
La politique environnementale prend un réel tournant en 2019, au moment de l'élection du président d'extrême droite, Jair Bolsonaro. Il encourage publiquement l'extension de l'agriculture et de l'exploitation minière, y compris dans les zones protégées du bassin amazonien. Les politiques lancées par son prédécesseur quelques années plus tôt sont ainsi abandonnées. Il y a "une relâche des contrôles et un laisser-faire vis-à-vis des criminels qui mettent le feu aux forêts à des fins financières et compromettent l'avenir de l'Amazonie", se désole Pierre Cannet, membre de WWF.
Lula ou Bolsonaro, les politiques environnementales du Brésil se joueront le 30 octobre prochain, jour lors duquel les Brésiliens sont appelés aux urnes pour décider du futur président, mais aussi, indirectement, de l'avenir de "la vitrine internationale" de leur pays, l'Amazonie.
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