Strasbourg
Archevêque de Strasbourg depuis 2017, Mgr Luc Ravel a présenté sa démission au pape, jeudi 20 avril. L'aboutissement d'une longue et douloureuse séquence pour le prélat alsacien, dont la gouvernance était jugée autoritaire par certains en interne.
Tempête à Strasbourg. La démission de Mgr Ravel, jeudi 20 avril, aura au moins eu le mérite de clarifier une situation plus instable et incertaine que jamais. Contesté depuis plusieurs mois dans son propre diocèse, l'archevêque semblait acculé à cette solution radicale. Derniers faits en date : la révocation en pleine semaine sainte, et probablement pour mauvaise gestion d'abus sexuels, de l'évêque auxiliaire Christian Kratz. Dans la foulée, quelques fidèles avaient manifesté devant la cathédrale pendant la messe chrismale, pancartes "Ravel démission" à la main. Le 18 avril, Les Dernières Nouvelles d'Alsace révélaient également que le vicaire général Hubert Schmitt avait été écarté du conseil épiscopal, dans la discrétion la plus absolue et pour des gestes déplacés sur mineur commis il y a une trentaine d'années.
Depuis, une pétition signée par plus de 1 000 "chrétiens en souffrance" réclamait le départ de l'archevêque. "La pétition n'était pas contre Mgr Ravel, mais contre un type de fonctionnement excluant le dialogue en Alsace", tempère Marie-Jo Thiel, professeur émérite à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg, pour qui l'affaire du moment symbolise le rejet d'un mode de gouvernance avant d'être une chasse à l'homme. "S'occuper des abus sexuels est éminemment important, ce n'est pas moi qui vous dirai le contraire", consent la théologienne, qui fut l'une des premières à alerter sur ce sujet devenu majeur. Mais on ne peut pas fonder une pastorale sur la simple question des abus sexuels", regrette-t-elle, constatant que "les abus d'autorité n'ont pas été traités".
Il serait allé à la rencontre des prêtres de son diocèse, comme ils le lui demandaient, peut-être n'en serions-nous pas arrivés là
"Quand on mène une politique de lutte contre les abus, on ne peut pas se contenter d'une prévention primaire, évidente, il faut aussi traiter les problèmes de fond", soutient Marie-Jo Thiel, partisane d'un traitement du problème à la racine, bien au-delà d'une simple gestion de ses symptômes. Car le sujet vital des abus sexuels ne peut faire l'économie d'une réflexion globale et d'une conduite humaine. "Dans le diocèse, les acteurs de la pastorale, les prêtres comme les laïcs, les permanents pastoraux, les diacres, reprochent depuis longtemps à Mgr Ravel de ne pas s'occuper d'eux", note-t-elle, soulignant la nécessité pour un évêque "d'aller à la rencontre des gens". Une hypothèse : "Il serait allé à la rencontre des prêtres de son diocèse, comme ils le lui demandaient, peut-être n'en serions-nous pas arrivés là".
En juin 2022, le Vatican confiait à l'évêque de Pontoise, Mgr Stanislas Lalanne, le soin de piloter une visite apostolique dans le diocèse de Strasbourg. Aux fins, sans doute, de comprendre les raisons du malaise. "Selon le droit canonique, on l'oublie parfois, l'évêque a des droits mais aussi des devoirs, explique Marie-Jo Thiel. Il doit faire des visites pastorales, dialoguer avec le peuple de Dieu, être dans la coresponsabilité. Et je crois que c'est à ce niveau-là que le bât blesse". Elle esquisse le portrait d'un homme seul, coupé de ceux-là même qu'il côtoyait tous les jours : "On peut se poser beaucoup de questions quant au respect de ses collaborateurs, car il a fait le vide autour de lui".
On peut se poser beaucoup de questions quant au respect de ses collaborateurs, car il a fait le vide autour de lui
Alors qu'on attend le nom de l'évêque qui assurera l'intérim, la nomination du successeur de Luc Ravel devrait prendre plusieurs mois. En vertu du régime concordataire mis en place sous Bonaparte, et auquel l'Alsace-Moselle est restée soumise, la loi de 1905 ne s'applique pas sur ce territoire. Les prêtres y sont rémunérés par l'État et, juridiquement, le président de la République nomme l'évêque de Strasbourg en accord avec le pape. Voilà pour la lettre ; quant à l'esprit du Concordat, en réalité, ce statut particulier ne change pas grand-chose. De même que le gouvernement s'est tenu bien loin du dossier Ravel, il n'y a pas plus de raisons qu'il se prononce en faveur de tel ou tel autre nom. "Il y a assez d'entente cordiale entre le Saint-Siège et l'État français pour que celui-ci n'ait besoin de s'immiscer dans les affaires de l'Église", relève Marie-Jo Thiel. Affaire à suivre, donc.
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