Le droit peut-il protéger l’environnement ? L’Union européenne vient de renforcer son arsenal juridique en matière de criminalité environnementale. Un texte clé qui se rapproche de la notion de crime d’écocide. Marée noire, bombe carbone et autres atteintes graves à l’environnement pourront maintenant être sanctionnées. Une manière de punir les fautifs, mais surtout de prévenir les crimes écologiques en dissuadant les entreprises d’agir.
“Nous entrons dans le nouvel âge du contentieux environnemental” résume d’entrée l’eurodéputé Marie Toussaint (Verts), qui a porté le projet au Parlement européen. L'Union européenne vient en fait d’inscrire dans son droit la notion d’infraction qualifiée. “Lorsque les atteintes à l’environnement seront particulièrement graves, soit étendues, soit durables, les États membres seront tenus de couvrir ces atteintes par leur droit pénal”.
Le terme d’écocide n'apparaît pas dans le texte, car il n’existe pas encore réellement en matière de droit. La notion reste en discussion et fait encore débat au niveau international. “C’est un mot à manier avec précaution” explique Marta Torre-Schaub, juriste, spécialisée dans l’environnement, directrice de recherche au CNRS affiliée à l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne. "Eco" vient du grec oikos, la maison, et "cide", du latin caedere, tuer. “Mais le mot écocide rapproche également du mot génocide” souligne Marta Torre-Schaub, “donc avant de l’utiliser, il faudrait se mettre d’accord sur le contenu de ce concept”.
L'Union Européenne a maintenant un cadre en matière de droit pénal de l’environnement
Écocide ou pas, l’accord adopté au niveau européen reste historique. “C’est un texte fondamental” se réjouit la juriste. “Il crée un cadre commun à tous les États membres de l’UE en matière de droit pénal de l’environnement, qui était jusqu’ici un peu négligé”. Cette uniformisation va permettre de créer un cadre minimum dans tous les pays membres qui seront obligés de l’inscrire dans leur droit. Ce minimum sera obligatoire et commun. “Les États membres pourront ensuite aller plus loin que le texte européen” précise Marie Toussaint.
Le crime d’infraction tel qu’il est défini concerne les individus, mais également les entreprises. La liste des atteintes considérées comme illicites est déjà longue et a été élargie. “Lorsque Monsanto répand son glyphosate de partout, on sait que cela dévaste la nature et nuit à la santé : on pourrait parler d’écocide” avance déjà la députée européenne écologiste. “Même chose pour l’utilisation du chlordécone [NDLR : pesticide utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe de 1972 à 1993] ou pour les marées noires”.
Ce texte reste pour l’instant cantonné au droit européen. Mais pour les défenseurs de la notion d’écocide, comme Marie Toussaint, l’objectif est maintenant de la faire reconnaître dans le droit international, c'est-à-dire de renforcer l’arsenal pénal au sein de la Cour Pénal Internationale, la CPI, en amendant le traité de Rome qui la régit. “Si nous reconnaissons ce crime au niveau international, nous pourrions couvrir des atteintes comme l’ouverture des nouveaux puits de pétrole, ces bombes carbones, à travers la planète, par des géants comme Total, Shell, Eni ou encore Texaco-Chevron” ajoute Marie Toussaint.
L’enjeu du droit pénal n’est pas seulement de sanctionner, mais aussi de prévenir
Le cas de Texaco-Chevron est particulièrement illustratif. Condamné il y a plus de 25 ans en Equateur pour sa pollution de pétrole dans l’Amazonie, la multinationale n’a toujours pas payé le moindre centime de réparation aux quelque 30 000 victimes. “Cette firme américaine, qui a répandu des milliers de litres de pétrole dans la forêt amazonienne, échappe aux condamnations en se jouant des législations nationales” s’insurge l’élue. La firme a jonglé entre les tribunaux équatoriens et américains et c’est finalement la Cour d’arbitrage international de la Haye qui a tranché. Dans ce genre de situation, les juridictions nationales semblent donc insuffisantes pour gérer ces crimes.
Les sanctions en matière de droit pénal européen vont donc être harmonisées dans tous les États membres de l’UE. Il s’agit d’infliger des amendes à hauteur de 5 % du chiffre d’affaires mondial annuel ou 40 millions d’euros, dans les cas les plus graves. 3 % du chiffre d’affaires ou 24 millions d’euros pour les autres infractions. “On peut trouver cela élevé, mais la vérité, c’est que parfois ces atteintes à l’environnement sont commises pour obtenir des bénéfices bien plus importants” souligne Marie Toussaint. “Nous aurions pu aller beaucoup plus loin” regrette-t-elle.
Mais cette question des peines en amène une autre : l’objectif du droit en matière de protection de l’environnement. “L’enjeu du droit pénal n’est pas seulement de sanctionner, mais aussi de prévenir” explique l’eurodéputée. “Ce texte a un aspect préventif” confirme Marta Torre-Schaub “car cette criminalisation environnementale devrait limiter un certain nombre d’acteurs privés, puisqu’ils ne pourront plus miser sur un État européen plus que sur un autre, en espérant rester impunis”. “Nous attendons que les acteurs économiques s’abstiennent d’agir lorsque les dommages et les risques s’annoncent trop grands pour la nature” conclut Marie Toussaint.
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