À l’occasion des élections européennes du 9 juin prochain, RCF vous propose une série de dossiers afin d’éclairer les enjeux internes de différents pays de l’Union européenne. Cette semaine : la Pologne.
Vingt après son adhésion à l’Union Européenne, la Pologne connaît une deuxième transition démocratique. Une coalition libérale pro-européenne a repris le pouvoir après huit ans de règne du parti Droit et Justice, ultra-conservateur. À cette effervescence politique s’ajoute la question sécuritaire qui est la plus importante en Pologne, qui vit sous l’ombre de Vladimir Poutine. Cet enjeu est venu renforcer un sentiment pro-européen déjà très présent dans le pays malgré un rapport intense à la souveraineté.
“Pendant, longtemps, nous n’avons pas compris la naïveté de l’Ouest à l’égard de Vladimir Poutine” assène d’emblée Anna Kowalska, la correspondante à Paris de la télévision publique polonaise, Telewizja Polska. “Nous ne comprenons pas qu’on puisse voter contre l’envoi d’armes en Ukraine, on est favorable à l’idée d’une armée européenne et à la création d’un poste de commissaire européen à la défense proposé par Ursula Von Der Leyen” détaille la journaliste.
Difficile de comprendre la Pologne sans mesurer la taille de l’ombre qui plane sur elle. C’est l’un des quatre pays de l’Union européenne a partagé une frontière commune avec l’Ukraine. “On se sent menacé par Vladimir Poutine” traduit Anna Kowalska. “Pour les Polonais, ce n’est pas une guerre lointaine de laquelle on peut détourner le regard” abonde Dorota Dakowska est spécialiste de la Pologne et professeur à Science Po Aix. Si la Russie avançait, la main du Kremlin serait à leur porte. “Elle est en première ligne et elle fait partie des pays qui ont été menacés, envahis et dominés par son voisin russe donc il y a un destin commun avec l’Ukraine” ajoute Jérôme Heurtaux est maître de conférences en sciences-politiques à l’université Paris Dauphine. “Ce destin commun a même fait taire les dissensions politiques et mémorielles entre l’Ukraine et la Pologne qui ont aussi été des ennemis” souligne-t-il.
La guerre en Ukraine est plus qu’une toile de fond, c’est le cœur même de la politique en Pologne autour duquel s'organisent les autres enjeux
L’union sacrée s’est un peu fissurée en février dernier, lorsque des milliers d'agriculteurs ont organisé des barrages à travers le pays pour protester contre l’importation massive de céréales ukrainiens en Pologne considérée comme de la concurrence déloyale. Des manifestants ont régulièrement bloqué la frontière, ternissant l’image du soutien polonais en Ukraine. Néanmoins, cet épisode n’est qu’un écran de fumée selon les observateurs. “Les gouvernements polonais quelqu’ils soient, PIS ou actuel, continus de soutenir l’Ukraine” affirme Dorota Dakowska. “La guerre en Ukraine est plus qu’une toile de fond, c’est le cœur même de la politique en Pologne autour duquel s'organisent les autres enjeux” complète Jérôme Heurtaux auteur de Pensées captives - Répression et défense des libertés académiques en Europe centrale et orientale.
À l'aune de cette guerre en Ukraine, l’enjeu est désormais de voir si les Polonais vont se mobiliser pour ces élections européennes. “Est-ce que ces élections européennes manifesteront que l’enjeu européen est redevenu central dans le contexte polonais?” reformule Jérôme Heurtaux. “Avec la guerre en Ukraine, les Polonais ont acquis une place qu’ils n’avaient pas jusqu’ici, car ils sont enfin écoutés dans les enceintes européennes comme des partenaires stratégiques” avance-t-il. L’invasion de la Russie a même renforcé l’ancrage européen des Polonais.
Au mois de mai 2024, Varsovie a fêté les vingt ans de son adhésion à l’Union européenne. Contrairement à d'autres pays ayant rejoint l’UE en 2004, la Pologne n’a pas été gagnée par le sentiment de lassitude européen, malgré les apparences. “La Pologne est l’une des sociétés les plus pro-européennes de l’UE” assure Dorota Dakowska. Même lorsque les conservateurs du PiS étaient au pouvoir, et même chez les électeurs du PiS le sentiment pro-européen est présent. “L’électorat de la coalition actuellement au pouvoir est extrêmement favorable à l'Union européenne” complète, Jérôme Heurtaux.
Cela n’empêche pas l’UE de diviser en Pologne. Il faut se souvenir que Varsovie et Bruxelles sortent de plusieurs années extrêmement tumultueuses. La Commission européenne vient tout juste d’annoncer, le 6 mai, son intention de mettre un terme à une procédure déclenchée en décembre 2017 contre la Pologne, saluant les mesures prises par le gouvernement de Donald Tusk pour restaurer l’indépendance du système judiciaire.
La procédure de l’article 7 du traité de l’UE avait été lancée par la Commission contre la Pologne en décembre 2017 en raison d’inquiétudes sur les réformes judiciaires mises en place par le parti nationaliste Droit et Justice (PiS), au pouvoir jusqu’en 2023, accusées de saper l’indépendance des juges. Cette procédure peut déboucher en théorie sur une suspension des droits de vote d’un pays au sein du Conseil de l’UE, en cas de “violation grave” de l’Etat de droit dans un pays membre.
Ce retour de la Pologne dans les bonnes grâces de Bruxelles s’explique par l’arrivée au pouvoir en octobre dernier d’une coalition pro-européenne allant de la gauche démocrate à la droite modérée et libérale. Cette coalition est dirigée par un ancien président du Conseil européen, Donald Tusk. Ces élections marquent la fin du règne du parti ultra conservateur Droit et Justice, le PIS. Donald Tusk a maintenant pour ambition de réformer le pays. Il a promis 100 mesures concrètes. “C’est un chantier énorme, car les conservateurs ont massacré les instances démocratiques pendant huit ans” explique la journaliste Anna Kowalska. La justice, les médias, les institutions de contrôle ont tous été phagocytés par le PiS.
“C’est assez tendu, car le PiS a verrouillé plusieurs institutions centrales du pouvoir et notamment le tribunal constitutionnel et il n’est pas évident de déloger des juges installés” détaille Dorota Dakowska. “Nous sommes dans un processus de reprise en main démocratique du pouvoir à tous les échelons” abonde. Jérôme Heurtaux. En politique interne, comme à l'extérieur, l'arrivée au pouvoir de Donald Tusk a donc changé beaucoup de choses et contribue aujourd’hui à relâcher le bras de fer européen.
La Pologne n’est pas pour autant une Européenne béate. Il y a encore des divergences. Elle a récemment voté contre le nouveau pacte européen Asile et migration. Elle s’oppose au principe de solidarité voulu par la Commission européenne, qui consiste à accueillir des réfugiés ou à payer. “Il y a globalement une méfiance à l’égard de l’immigration et une volonté de contrôler les flux” analyse le chercheur. Là encore, les huit ans au pouvoir du PIS ont laissé des traces dans la société polonaise.
Cette question de la souveraineté est permanente dans le débat public depuis 30 ans.
Une autre dimension, plus profonde, touche aux enjeux de souveraineté. “C’est un fil rouge depuis 30 ans” explique Jérôme Heurtaux. “Pour la Pologne, 1989 permet le passage à l’économie de marché, l'adhésion à la démocratie libérale, mais également un recouvrement de la souveraineté nationale. Cette question de la souveraineté est permanente dans le débat public depuis 30 ans. Et pour certains leaders, l’Union européenne est une entorse à ces questions de souveraineté et un parti comme le PiS mobilise énormément sur cette question. Plusieurs thématiques sont déclinées comme la question migratoire, la question écologique, car le Pacte Vert européen demande des transformations structurelles aux pays membres ou encore sur la question agricole puisque la survie de ce groupe professionnel et social se pose au moment des élections européennes”.
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