Le 1er février 2020, le Royaume-Uni quittait l’Union européenne, laissant son voisin le plus proche, l’Irlande, dans une instabilité inconfortable. Quatre ans plus tard, Dublin, malgré sa bonne santé économique, fait face à une grave crise du logement.
Il y a une “petite musique qui monte” en Irlande. Pas celle de la flûte irlandaise, instrument traditionnel celtique, mais bien celle d’un vote contestataire, conséquence de la grave crise du logement qui touche le pays. Les deux principales forces politiques, ennemis de toujours, ont formé une coalition pour faire face au principal parti d’opposition. Pandémie, Brexit et influence internationale, la coalition gouvernementale maintient la stabilité économique irlandaise. Cependant, le volet social semble fragilisé.
En rupture avec le clivage gauche-droite observé en Europe occidentale, l’Irlande est gouvernée par une coalition située au centre-droit de l’échiquier politique. Depuis la création de l’Irlande en 1921, deux partis dominent la scène politique : le Fianna Fàil et le Fine Gael. “Ils sont assez proches, mais la raison de leur antagonisme date du moment de la fondation de l’Etat. Il y a eu un désaccord profond, et c’était deux côtés opposés lors d’une guerre civile”, rappelle Guillaume Gillissen, professeur à l'université de Caen-Normandie, et spécialiste de l’Irlande.
La rivalité du Fianna Fàil et du Fine Gael est ainsi purement historique. Aujourd’hui, certaines idées se rejoignent, et les deux partis ont même fait le choix d'avancer en pack et de créer cette coalition lors des dernières élections pour faire face au Sinn Féin, organisation de gauche, nationaliste, en faveur de la réunification de l’Irlande. Contrairement à ce que peut connaître l’Europe à la veille des élections européennes, le vote contestataire se dirige vers la gauche en Irlande, non pas vers l’extrême droite, encore largement marginal dans le pays.
Le Brexit aurait pu faire déraper ce petit pays de cinq millions d’habitants, bien éloigné des considérations géopolitiques et géographiques de l’Europe occidentale. Pourtant, l’Irlande tient bon. Post-Brexit, les changements ont eu lieu au nord de la frontière. Partageant sa seule frontière avec l’Irlande du Nord, nation constitutive du Royaume-Uni, le Brexit a compliqué les exportations irlandaises au sein de l’Union européenne. “Il y avait une grande volonté politique de faire en sorte que la frontière soit aussi invisible que possible. Il fallait que tout le monde puisse circuler, puisse travailler. En somme, qu’il n’y ait pas de complications fiscales, douanières, commerciales”, avance Alexandra Maclennan, spécialiste de l’Irlande.
Après des années de négociations, de tractations, entre 2016 et 2021, un accord a finalement été trouvé. “Il y a maintenant un système de circuits à deux couleurs avec un itinéraire différent, entre les produits qui vont aller en Irlande du Nord, et ceux qui vont en Irlande du sud, donc dans l’Union européenne”, poursuit Alexandra Maclennan, également auteure de L’Histoire de l’Irlande, de 1912 à nos jours, aux éditions Tallandier.
Avec un PIB par habitant nettement supérieur à la moyenne européenne, l’économie irlandaise se porte plutôt bien. Cependant, le volet social est largement à la peine. Le “plan Rwanda” du Royaume-Uni qui prévoit l'expulsion des demandeurs d’asile, pousse les migrants à rejoindre l’Irlande. Face à une demande toujours plus importante, le secteur du logement est en pleine crise. Le nombre de sans-abris a quadruplé en dix ans et les prix de l’immobilier explosent. En Irlande, pour répondre à l’ensemble de la demande, il manquerait 250 000 logements. “Les loyers ont doublé en dix ans, et le prix à l’achat a été multiplié par trois”, assure Alexandra Maclennan. “Ce sont des situations uniques lorsque l’on compare avec les statistiques des autres pays européens”.
40 % des trentenaires vivent encore dans leur chambre chez leurs parents
Des difficultés sociales, qui ont des conséquences sur le développement sociétal du pays. “40 % des trentenaires vivent encore dans leur chambre chez leurs parents”, souligne la spécialiste. “Comment peut-on construire une famille dans ces conditions ? Comment envisager de construire sa vie ? Faut-il émigrer ?”, tance Alexandra Maclennan, qui assure que “les gens en ont assez d’entendre les deux grands partis historiques constamment promettre qu’ils vont faire quelque chose. Finalement, la situation change très peu au quotidien”.
Avec un voisin comme le Royaume-Uni et exilée sur son île au nord-ouest de l’Europe, difficile d’exercer un véritable poids diplomatique à Bruxelles pour Dublin. Pourtant, le pays étend doucement son influence en adoptant les positions occidentales. “On observe un alignement de l’expérience irlandaise sur l’expérience européenne, surtout avec les rattrapages sociétaux, éthiques, familiaux”, analyse Alexandra Maclennan. En glanant un siège supplémentaire lors du scrutin de juin prochain, l’Irlande bénéficie de 14 députés européens lors de la prochaine mandature.
À cela s’ajoute la toute-puissance du softpower irlandais, mis en valeur à la fin des années 1990, lorsque Michael D. Higgins, ancien ministre de la Culture et actuel président de l’Irlande, mettait en valeur “l’exception culturelle irlandaise”. “L’Irlande bénéficie d’un grand capital de sympathie”, admet Alexandra Maclennan. “Dublin est devenue une grande capitale multiculturelle”, conclut-elle finalement.
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