À l’occasion des élections européennes du 9 juin prochain, RCF vous propose une série de dossiers afin d’éclairer les enjeux internes de différents pays de l’Union européenne. Cette semaine : l’Italie.
Pas de suspens à Rome. Le parti Fratelli d’Italia de la présidente du Conseil, Giorgia Meloni semble dominer les débats en vue des élections européennes. La femme forte de l’Italie entend profiter de ce moment pour se rendre incontournable au sein de l’UE.
Une victoire ou un triomphe ? C’est, à ce jour, la seule question qui se pose quant au destin de Giorgia Meloni pour les élections européennes. Le Premier ministre, qui tient à garder la version masculine de son titre, a pris les rênes du Conseil italien en octobre 2022 avec son parti post-fasciste, Fratelli d’Italia. Meloni a choisi d’être la tête de liste pour ces Européennes, donnant inévitablement une tonalité très nationale à ce scrutin.
Sa liste domine largement les débats. Elle caracole en tête, à près de 27 % dans les sondages, loin devant ses deux partenaires de coalition, La Liga de Matteo Salvini à l’extrême droite et la droite modérée de Forza Italia, qui n’atteignent pas les 9 %. Le seul événement notable dans le reste du monde politique italien est la percée à gauche du Partido Democratico, mené par Elly Schlein, qui dépasse la barre des 20 %. “Face à ce risque de droitisation en Italie, il y a un parallélisme avec le cas français et l’effet Raphaël Glucksmann” analyse Jean Pierre Darnis, professeur des universités en relation franco-italienne à l’Université Côte d’Azur de Nice.
Néanmoins, Elly Schlein a beau être le nouveau phénomène de la vie politique italienne, sa bonne dynamique ne devrait pas suffire à enrayer la machine mélonienne. La stratégie de Fratelli d’Italia semble désormais bien rôdée. Sur l’immigration d’abord.
On ne peut pas complètement se défausser sur l’Europe sans avouer sa propre inefficacité
La question migratoire a joué un rôle important dans l'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni. Pendant sa campagne législative, l’Union Européenne a beaucoup servi de bouc émissaire sur ce dossier. L’épreuve du pouvoir et les calculs politiques sont néanmoins venus tempérer ses relations avec Bruxelles.
“Elle tient un discours qui pourrait paraître ambiguë car d’un côté elle reprend ses thèmes de campagne, notamment l’immigration comme un problème auquel il faut remédier, et de l’autre côté elle a la volonté de s’inscrire dans un cadre européen et donc de ne pas se départir totalement de certaines mesures prônées par la Commission européenne” explique Ludmila Acone historienne et spécialiste de l'Italie.
Derrière cette ambiguïté se cache une volonté de ne pas menacer le versement des fonds européens, mais aussi des calculs politiques internes et externes. “On ne peut pas complètement se défausser sur l’Europe sans avouer sa propre inefficacité” détaille Jean Pierre Darnis. “Mme Moleni s’est fait élire sur une promesse de traitement de la question migratoire et cela reste aujourd’hui un semi-échec ou un semi-succès” ajoute-t-il.
“Fratelli d’Italia a gagné la campagne en promettant de bloquer la mer et l’immigration, mais au moment où Giorgia Meloni a touché la réalité, elle a compris qu’il fallait faire des compromis” raconte la journaliste Giovanna Botteri, correspondante de la Radio Télévision Italienne, la RAI. “Ici le compromis repose sur le fait d’avoir une bonne alliance à l’intérieur de l’Europe” complète-t-elle. Cela passe notamment par la gestion de la question migratoire. Comme le gouvernement français, elle a soutenu le Pacte asile et migrations, fin 2023, qui prévoit une solidarité entre les États membres pour se répartir les demandeurs d'asile.
Même chose sur la question de l’aide à l’Ukraine qui pouvait inquiéter ses partenaires européens avant son arrivée au pouvoir. “Giorgia Meloni se cantonne dans une action politique qui ne remet pas en cause le modèle social-démocrate européen et les principales lignes géopolitiques de Bruxelles avec, par exemple, un soutien total à l’Ukraine”, assure Jean-Pierre Darnis. Résultat : on constate au fil des mois un rapprochement commun entre Meloni et ses partenaires européens.
La présidente de la Commission européenne, Urusla Von Der Leyen, s’est même affichée avec Giorgia Meloni sur l’île de Lempedusa symbole de la question migratoire européenne. Une image inconcevable il y a quelques années. “Il y a un rapprochement évident” juge Ludmila Acone. Selon l’historienne, “cela entre dans la stratégie de dédiabolisation de Meloni”.
Il y a également un calcul politique à l’échelle européenne. “Giorgia Meloni se positionne pour les prochains jeux politiques européens”, assure Jean-Pierre Darnis. Il faut comprendre que le parti de la Première ministre italienne, Fratelli d’Italia siège au Parlement européen dans le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), au côté notamment du parti Droit et Justice (PiS) polonais et la formation espagnole Vox. Politiquement, ce groupe se situe entre le PPE d’Usrula Von Der Leyen, qui est au pouvoir, et Identité et démocratie à l’extrême droite qui réunissait jusqu’ici les Allemands de l’Afd et le Rassemblement national.
Les rumeurs concernant la perspective d’une alliance entre le groupe de Giorgia Meloni et le PPE au Parlement européen vont bon train. Cette alliance pourrait permettre à Ursula Von Der Leyen de garder le pouvoir.
“Elle voit bien qu’il y a une droitisation en Italie et en Europe”, analyse Jean-Pierre Darnis. Or, son score aux prochaines élections pourrait lui permettre de se retrouver dans la position de faiseur de roi. “Elle veut jouer un jeu de pivot et faire monter les enchères quant à son soutien” décrypte le spécialiste de l’Italie.
Cette ambition ne passe d’ailleurs pas inaperçue en France. Marine Le Pen qui a tourné le dos à son allié allemand historique, l'Afd, cherche de nouveaux partenaires européens. La leader du Rassemblement national s’est confiée sur le sujet au quotidien milanais Corriere della Sera. “C’est le moment de s’unir, ce serait vraiment utile. Si nous réussissons, nous pourrons devenir le deuxième groupe au Parlement européen. Je pense que nous ne devrions pas rater une opportunité comme celle-ci”, estime Marine Le Pen. Voilà donc Giorgia Meloni courtisée de chaque côté de l’échiquier politique européen.
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