C’est une période méconnue de notre histoire : pendant l’Occupation, le marché de l’art était florissant, alimenté par la spoliation des familles juives. Une exposition se tient actuellement à Paris au mémorial de la Shoah, une exposition qui retrace cette histoire et ses impacts encore aujourd’hui sur les musées publics et les collections privées. Emmanuelle Polack est commissaire de l’exposition et auteure de l’ouvrage « Le marché de l’art sous l’occupation ».
Aujourd’hui, ces œuvres d’art sont peut être « les derniers témoins » des exactions dont ont été victimes les familles spoliées pendant la guerre, explique Emmanuelle Polack. Le vol des œuvres s’inscrit dans un « continuum » qui va de la discrimination à l’extermination des populations, et il est donc important de prendre cet aspect en compte car il est « un élément de la chaîne de la Solution finale ». De plus, retracer l’histoire de tableaux volés, c’est aussi retracer une partie de l’histoire de la seconde guerre mondiale.
Aujourd’hui encore, des tableaux de grands maîtres volés à des familles juives n’ont pas été retrouvés. C’est une des raisons pour lesquelles il est important que les musées, les marchands d’art et les galeries fassent le travail de rechercher la provenance des œuvres en leur possession.
Sur les quelques 100.000 œuvres transférées de France vers l’Allemagne pendant le conflit, 60.000 sont revenues lors de l’immédiat après-guerre. Parmi ces œuvres revenues en France, 15.000 n’ont pas trouvé de repreneur. Entre 1950 et 1953, le gouvernement français prend la décision de vendre 13.000 de ces œuvres, et d’en placer 2000 autres, considérées comme les plus importantes, dans les musées nationaux de récupération.
A l’origine de ces spoliations massives : une décision d’Hitler qui veut réglementer les Beaux-Arts. Avec Goebbels ils vont publier un arrêté opposant l’art moderne, considéré comme « dégénéré », et l’art allemand. Les dirigeants nazis vont avoir le projet de créer un grand musée européen à Linz en Autriche : pour fournir ce musée en œuvres, l’Europe occupée est un vivier idéal. La France, premier pays marchand d’art en 1939 est particulièrement ciblée. La spoliation va donc principalement toucher les familles juives, du fait des lois antisémites nazies et de la collaboration du régime de Vichy.
Alors que les juifs sont persécutés, le marché de l’art français est florissant. De nombreux objets volés passeront par la maison Drouot, la salle de ventes aux enchères la plus importante de Paris. Les spoliations vont profiter « aux marchands français et allemands, aux commissaires priseurs, aux experts, aux intermédiaires, aux transporteurs… ». C’est tout le monde de l’art qui va profiter des crimes des nazis et de Vichy, certains commissaires priseurs organisant même des études consacrées aux biens « israélites ». Dès 1944, des ventes sont organisées en faveur des familles de déportés par ces mêmes commissaires priseurs.
Aujourd’hui, le sujet est toujours « très sensible » et difficile à aborder avec les musées, même si Emmanuelle Polack est optimiste : elle explique que les institutions culturelles sont de plus en plus sensibles à ces questions. L’historienne salue également la création d’une « Mission recherche et restitution des œuvres spoliées entre 1933 et 1945 », sous la tutelle du ministère de la culture. Plus que la récupération des œuvres, c’est un « combat de justice » pour les familles juives qui veulent faire reconnaître le tort qui leur a été causé.
L’exposition parisienne qui se tient jusqu’au mois de novembre au mémorial de la Shoah est organisée en trois grands départements : une première partie sur les galeristes d’art moderne, une seconde sur l’hôtel Drouot et les ventes aux enchères pendant la guerre et une dernière salle dans laquelle sont exposées des œuvres restituées, en lien avec les familles.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !