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Emprise et abus sexuels : quel avenir pour la communauté Saint-Jean ?

Un article rédigé par Étienne Pépin, Odile Riffaud - RCF, le 27 juin 2023 - Modifié le 17 juillet 2023
L'actu chrétienne"Comprendre et guérir" : le rapport sur les abus sexuels dans la communauté Saint-Jean

Le rapport publié ce lundi par la communauté Saint-Jean révèle que depuis 1975, 72 religieux, près de 10% de la communauté, ont commis des "abus sexuels" sur 167 victimes. Au cœur de cette enquête de plus de 800 pages, "l'emprise généralisée" exercée par son fondateur Marie-Dominique Philippe. Depuis quelques années les "Petits Gris" ont entrepris de "nettoyer" les traces de leur fondateur dans leurs textes. Au sein de l’Église cependant, des voix se sont fait entendre pour dire qu’il aurait été plus sain de dissoudre la congrégation.

Célébration des vêpres à la maison-mère des Frères de Saint-Jean à Rimont, Saône-et-Loire, le 21/03/2018 ©Arnaud Finistre / Hans LucasCélébration des vêpres à la maison-mère des Frères de Saint-Jean à Rimont, Saône-et-Loire, le 21/03/2018 ©Arnaud Finistre / Hans Lucas

Après L'Arche et les dominicains, c'est autour de la communauté Saint-Jean, les "Petits Gris", de faire la lumière sur les frères Philippe et en particulier son fondateur, Marie-Dominique Philippe (1912-2006). "Comprendre et guérir – Origines et analyses des abus dans la famille Saint-Jean" : c’est le titre donné à un rapport de 800 pages publié ce lundi 26 juin. Le fruit de trois ans de travail d’une commission interdisciplinaire composée d'experts extérieurs à la communauté (historiens, théologiens ou psychologues) et de religieux de la congrégation Saint-Jean. Le rapport fait état d'une "contagion" parmi les religieux d'un système d'emprise né au sein de la famille de Marie-Dominique Philippe.

 

 

→ NOTRE DOSSIER : Abus et agressions sexuelles dans l'Église catholique

 

 

Un système d’emprise au sein de la famille Dehau-Philippe

 

Le rapport de la congrégation Saint-Jean fait état d’un système d’emprise né au sein de la famille Philippe. Frère Jean-Yves, chargé de la communication de la congrégation Saint-Jean, parle "d’abus qui ont commencé avec le Père Marie-Dominique Philippe, le Père Thomas Philippe mais aussi leur sœur, Sœur Cécile, et puis aussi une figure plus méconnue, l’oncle Thomas Dehau, qui lui-même, nous le découvrons, a eu une emprise sur Marie-Dominique Philippe."

 

La description d’un système d’emprise au sein de la famille Philippe et de l’influence de l’oncle Thomas Dehau, prêtre et dominicain, concordent avec les conclusions contenues dans deux autres rapports publiés récemment. Celui des dominicains, publié le 9 février dernier sous le titre "L’Affaire" (éd. Cerf), décrivait l’impunité de Thomas et Marie-Dominique Philippe au sein de leur communauté. Celui de la communauté de L’Arche, le 30 janvier dernier, révélait que son fondateur, Jean Vanier, avait lui aussi été sous l’emprise de Thomas Philippe, frère de Marie-Dominique Philippe. Mais l’emprise était, au dire du rapport, restée cantonnée à un cercle d’initiés.

 

 

- Fondée entre 1975 et 1984, la famille Saint-Jean comprend une communauté de religieux, deux branches féminines de religieuses contemplatives et apostoliques, une communauté de laïcs oblats. Elle a connu dans les années 80, 90 une importante expansion.

- Dans les années 2000, a été pointée du doigt l’importance trop grande accordée au sein de la congrégation, à son fondateur, Marie-Dominique Philippe.

- En 2013, les Frères de Saint-Jean ont révélé pour la première fois des cas d’agressions sexuelles et d’abus de conscience de la part de leur fondateur.

 

 

Un effet de "contagion"

 

Dans le cas de la famille Saint-Jean, il y a eu "une contagion" de ce système d’emprise, précise Frère Jean-Yves. Le rapport publié ce lundi révèle en effet que depuis la fondation de la communauté Saint-Jean en 1975, 72 religieux, près de 10% de la communauté, ont commis des "abus sexuels" sur 167 victimes. Ce qui est décrit comme "abus sexuels", précise le communiqué, ce sont aussi bien des "paroles de sollicitations" que des "viols". Le rapport précise que dans la majorité des cas les "abus sexuels" se sont produits dans le cadre de "l’accompagnement spirituel de femmes majeures". Des actes justifiés par la doctrine dévoyée de Marie-Dominique Philippe et reprise par de nombreux religieux.

 

Frère Jean-Yves parle d’un "faisceau d’emprises". Parmi les éléments qui ont favorisé le système d’emprise : une "absolutisation de l’autorité du père spirituel", des "défaillances dans l’ordre de la gouvernance", "la dévalorisation de la conscience et du rôle de la loi", ou encore "des raccourcis dans l’ordre de la formation". Par exemple, "l’Esprit saint, qui finalement est comme utilisé comme instrument qui va aller contre la liberté du frère".

 

 

La règle de vie écrite par Marie-Dominique Philippe n’est plus notre référence

 

 

Fallait-il dissoudre la congrégation Saint-Jean ?

 

De tout ce mal peut-il sortir un bien ? Ce sont des questions qui se posent à la lecture du rapport. L'aura de Marie-Dominique Philippe a été puissante au sein de la congrégation. Depuis quelques années, les Frères et Sœurs de Saint-Jean pris soin de "nettoyer" les traces du fondateur, que ce soit dans la définition de son charisme (c’est-à-dire dans l’identité de la communauté), mais aussi dans la formation et jusqu’à la règle de vie. "La règle de vie écrite par Marie-Dominique Philippe n’est plus notre référence", précise Frère Jean-Yves. Qui ajoute : "Le fondement, ce n’est pas le fondateur. Le fondement, c’est le Christ."

 

 

 

 

Un certain nombre de religieux et religieuses ont quitté la famille Saint-Jean, dont la branche féminine contemplative a connu une grave crise entre 2009 et 2014. Au sein de l’Église, des voix se sont fait entendre pour dire qu’il aurait été plus sain de dissoudre la congrégation Saint-Jean. "Ce serait trop simple de dissoudre", répond Frère Jean-Yves. Il est de ceux qui ont choisi de rester et de faire face à ce passé douloureux. "Nous voulons intégrer notre histoire nous ne voulons pas la fuir, explique-t-il, je crois qu’il faut apprendre à vivre avec cette souillure. Cette souillure elle est grave, mais vous savez c’est comme pour chaque chrétien, il vit aussi avec son histoire."

 

Désormais, pour les quelque 500 religieux et religieuses (ayant prononcé leurs vœux définitifs) que compte la congrégation Saint-Jean, "il faut aller jusqu’au bout du travail", estime Frère Jean-Yves. "Et on verra, on verra si jamais en effet, grâce à toutes ces réformes, grâce ce rapport, je crois qu’un avenir est possible…"

 

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