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ENTRETIEN. UE : L'ancien Premier ministre italien, Enrico Letta, s'inquiète d'une crise de la démocratie

Un article rédigé par Alix Berteloot - RCF Lorraine Nancy, le 22 mai 2024 - Modifié le 27 mai 2024
Midi Lorraine, les entretiensLes craintes d'Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, sur les démocaties libérales

Le premier forum "Place(s) de la Démocratie" de Terra Nova s'est tenu du 29 septembre au 1er octobre 2023 à Nancy. Ce cercle de réflexion regroupe plusieurs ateliers participatifs et conférences faisant état de notre démocratie et de ses perspectives de réinvention. Enrico Letta, ancien président du conseil des ministres italiens, actuel président de l'institut Jacques Delors et député italien, y a pris part afin d'aborder les dangers actuels qui pèsent en Europe. Entretien. 

Intervention au micro d’Enrico Letta à l’Hôtel de Ville de Nancy, aux côtés de Sylvie Kauffman, Marc-Olivier Padis et Marylise Léon (de gauche à droite) © Annalivia Lacoste & Ville de NancyIntervention au micro d’Enrico Letta à l’Hôtel de Ville de Nancy, aux côtés de Sylvie Kauffman, Marc-Olivier Padis et Marylise Léon (de gauche à droite) © Annalivia Lacoste & Ville de Nancy

En amont d'une table ronde, intitulée "Les démocraties libérales en sursis ?", à l'Hôtel de Ville de Nancy le 29 septembre dernier, l'ancien Premier ministre italien, Enrico Letta, a accordé à RCF une entrevue exclusive pour évoquer les dangers actuels qui pèsent sur les démocraties libérales.

Pourquoi avoir accepté de participer à ce forum de Terra Nova à Nancy ? 

Parce que j'aime Terra Nova parce et que je n'avais jamais visité Nancy. Mais évidemment surtout pour le sujet : la démocratie. Elle est défiée, elle est challengée, elle est mise en péril donc  il faut en parler. En effet, vous allez participer à cette table ronde sur la démocratie libérale. 

À notre échelle nationale, quel regard portez-vous sur le système politique français et son fonctionnement? 

C'est un peu unique au monde avec l'élection du président de la République qui domine un peu tout. Ce rôle présidentiel rend la France différente de tous les autres pays. Mais je ne me permets pas de juger. Je vois qu'aujourd'hui, la question de la participation de la démocratie est vraiment au cœur de toutes les discussions. Parce que la démocratie est défiée hors de nos pays et  à l'intérieur de nos pays. Parce qu'il y a un problème de légitimité, d'efficacité, de prise des décisions. Et c'est surtout, à la fin, le système des réseaux sociaux qui met en difficulté.

Quand on voit que grâce aux réseaux sociaux, ce que vous pensez peut être relayé avec beaucoup de consensus, "de like", alors que le vote est un et un seul et ne change pas beaucoup quand il est seul. Il y a aujourd'hui une tension sur le sujet de la démocratie très forte.

Est-ce que cette défiance fait partie des principaux dangers que connaissent les démocraties libérales aujourd'hui ? 

Oui, parce qu'en Europe on parle de flambeau, de démocratie, de force, du drapeau, etc. Mais en vérité, à l'intérieur de notre continent, on a des problèmes très clairs. Il y a quelques pays qui ont décidé de défier des aspects importants dans l'état de droit. Évidemment, c'est un sujet majeur. Je parle de ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne, sur la question de la magistrature. Donc on a un problème : ce n'est pas simple de faire en sorte que ceux qui sont entrés (dans l'Union Européenne), à un certain moment, s'ils dérapent, il n'y a aucune possibilité de mettre les choses à plat et je trouve que c'est un problème qu'il faut se poser.

Quelle(s) cause(s) peut-on trouver pour expliquer cette défiance croissante ? 

Il y en a beaucoup. La plus importante est le soudain dépaysement de nos sociétés. À l'intérieur de nos sociétés, il y a un changement et un basculement qui est très soudain et les gens ont des craintes. Évidemment, si vous ajoutez à ça la croissance des inégalités, la difficulté de trouver son propre chemin de vie, ça crée un problème sérieux de confiance dans les institutions. C'est l'idée que les institutions, à la fin, prennent des décisions seulement pour ceux qui sont déjà dans l'establishment ou qui sont dans des relais. 

A côté de ça, je faisais référence à la question des réseaux sociaux. Je pense que c'est un sujet majeur là aussi. Il y a tellement de fausses nouvelles qui circulent que, désormais, ce n'est plus un sujet vrai ou faux. Mais c'est toujours vraisemblable. Et le vraisemblable est, je pense, le piège de nos démocraties.

Alors, que faudrait-il faire ?  Une démocratie par le bas, plus de participation citoyenne ?

Je pense qu'il faut sérieusement se poser le problème du fait que ce n'est pas seulement le modèle de démocratie représentative classique  qu'il faut perpétuer. Il faut le rendre meilleur, il faut y ajouter des sujets. Vous avez cité le mot clef : "démocratie participative". Moi j 'aime beaucoup l'idée qu'on puisse tester et qu'on puisse expérimenter. Il faut le faire parce que si on ne le fait pas, les gens vont se dire que la démocratie ne marche pas. Ils vont chercher d'autres moyens.

À l'échelle européenne, disposons-nous d'assez de garde-fous pour protéger la démocratie ? 

On commence à en avoir mais on a peur de les employer. Donc je pense que oui, on est défiés à l'interne et à l'externe. Il faut surtout faire en sorte qu'on fasse des choses qui rendent nos démocraties plus efficaces et plus capables d'attirer les gens, qu'(ils) participent et acceptent les règles. 

En France, Marine Le Pen a enregistré une large progression entre sa première participation présidentielle en 2017 et celle de 2022. Quel regard portez-vous sur son parti le Rassemblement national ?

Je ne veux pas entrer dans les débats politiques internes d'un pays qui n'est pas le mien mais il est évident que la percée et la montée des droites, et des droites anti-européennes, est quelque chose qui est devenu une constante des dernières années. Les prochaines élections européennes vont être un moment dans lequel on va vérifier si cette tendance va avoir des conséquences ou pas. La question du rôle de l'Europe et de la force des institutions européennes est quelque chose qui a joué un rôle très important. 

Je fais référence à la question de l'invasion russe de l'Ukraine. L'Europe a pu jouer un rôle, aider l'Ukraine parce que l'on était unis. Mais évidemment tout ça est aujourd'hui très compliqué à vivre si on ne considère pas la nécessité qu'il y ait une capacité de nos partis politiques de convaincre les électeurs. On voit cette montée des forces anti-européennes et c'est pour ça que les prochaines élections vont être un moment si important.

Sur le conflit entre l'Ukraine et la Russie, est-ce que l'Union Européenne a su montrer une cohésion ? 

Je pense que la guerre a été un sérieux danger pour nous tous. Évidemment, il a été un danger et un drame pour les citoyens ukrainiens qui sont morts dans cette horrible affreuse guerre. Mais c'est l'unité de l'Europe qui est mise en péril.  Et l'Europe a répondu avec une capacité d'unité qui a été, de mon point de vue, très importante. Mais maintenant il faut savoir mener jusqu'au bout une sortie de cette crise qui soit capable de démontrer que Poutine a failli et qu'il n 'a pas obtenu ce qu'il voulait. Mais en même temps on ne peut pas continuer éternellement avec cette situation parce qu'un conflit qui s'éternise finit par banaliser le conflit en lui-même. C'est ce que l'on ne peut pas se permettre chez nous.

L'idée d'une Europe soudée, est-elle toujours valable ?

Je pense que les dernières années ont démontré qu'il faut plus d'Europe. On l'a dit sur des sujets qui n'ont jamais été des sujets clés de la vie européenne comme la santé. On n'a jamais eu de compétences européennes en matière de santé, c'était typiquement une matière nationale. Et bien l'Europe de la santé nous a tous sauvés pendant le Covid ! On a pu faire les vaccins et éliminer les frontières pour faire en sorte que l'on ait tous des médicaments. 

C'est la même chose aujourd'hui pour la défense. L'Europe de la défense commence à exister à cause de la Russie. Pareil pour l'énergie. C'est la première fois que l'on fait une politique énergétique commune. On a pu tous ensemble se libérer de la dépendance énergétique russe. Pour des pays comme le mien (l'Italie) ou l'Allemagne, c'était quelque chose d'inconcevable, de faire en neuf mois, une libération de cette dépendance. Il faut continuer dans cette direction, surtout dans des sujets où c'est le citoyen qui voit l'importance de se mettre ensemble pour être plus efficace. 

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