Pour en parler, Arnaud Mercier, professeur des universités. Il enseigne les sciences de l’information et de la communication. Il préside le site d’information theconversation.com, un site qui en partenariat avec l’université Sorbonne nouvelle organise jeudi un colloque sur le thème "l’université comme rempart face aux fake news".
Une rumeur paralyse depuis quelques jours Nicolas Hulot, le numéro 3 du gouvernement. Un rumeur qui ne vient pas des réseaux sociaux, mais d’un journal papier, le tout nouveau "Ebdo". Lancé il y a un mois, ce journal promettait de renouveler totalement la façon de faire d’un magazine. Dans son numéro de vendredi, Ebdo titre avec ce qu’il appelle "l’affaire Nicolas". Nicolas, comme Nicolas Hulot, que le journal accuse d’abus sexuel.
Depuis quatre jours, les démentis se sont multipliés. Nicolas Hulot a crié sa colère, soutenu par l’exécutif. Certains observateurs ont exprimé leur gêne vis-à-vis du manque d’informations contenues dans l’article en question. "Le fait qu’un hebdomadaire qui se lance tente de faire de la publicité en lançant des affaires dont le reste de la presse n’aurait pas parlé est un classique. Quand vous pénétrez un marché concurrentiel, vous essayez de faire des coups pour être vu. En revanche, cela conduit à faire état de choses qui visiblement étaient connues. Comme tout cela a déjà été jugé, cela me paraît être quelque chose qui met plus en danger la crédibilité du journal" explique Arnaud Mercier.
Dans l’univers médiatique actuel, il est donc parfois facile de faire le buzz pour survivre. "N’importe quel titre médiatique a tout intérêt à renouveler la visibilité qu’il a en sortant quelque chose qui sort de l’ordinaire en étant pionnier. Après il ne faut pas faire du buzz avec n’importe quoi puisque cela finit par devenir un bad buzz, quelque chose qui se retourne contre vous" ajoute ce spécialiste des médias.
Les responsables de l’Ebdo justifient cette enquête par la vague de libération de la parole des femmes vicitimes d’abus sexuels. "Il est vrai qu’on a beaucoup dit qu’il était bien qu’il y a une libération de la parole après l’affaire Weinstein. C’est sans doute une bonne chose. Mais la tentation pourrait devenir de libérer n’importe quelle parole du point de vue journalistique. Il y a une enquête à faire. Relayer simplement une parole accusatrice sans aucune enquête ne correspond pas au métier de journaliste, donc il faut faire attention" précise le président de theconversation.com.
Pourtant, à l’heure actuelle, la question de la définition même de la fake news est très controversée. "Beaucoup de gens disent que la fake news existe depuis toujours. Quand une société invente un mot nouveau et que ce mot nouveau circule, qu’il est approprié, il faut prendre au sérieux cette inventivité verbale, puisqu’il désigne une réalité communément partagée. Il y a une nouveauté, qui répond à ce nouveau système socio-numérique de l’information, bouleversée par les réseaux sociaux. Un certain nombre de choses circulent de façon beaucoup plus forte et non contrôlée. N’importe qui peut émettre un message. Et il n’est pas toujours facile de tout vérifier" analyse encore Arnaud Mercier.
Pour Arnaud Mercier, les fake news sont une vraie menace pour la démocratie. "Je pense que l’heure est grave. Les fake news prouvent que l’on est en train de saper la démocratie par les outils même de la démocratie. La démocratie, c’est la circulation de la parole libre, donc la liberté d’expression, et c’est la démocratisation de l’accès à l’espace public. Tout le monde peut ouvrir un compte, commenter, partager. Il y a une promesse démocratique de la liberté d’expression et de la démocratisation de l’espace public pour tous. Or c’est à l’intérieur de ce cadre, qui est non-contestable, que certains s’insèrent pour saper les bases de la démocratie en utilisant tout ce contexte pour véhiculer des messages agressifs, pour crisper la société, déstabiliser leurs adversaires" lance encore le professeur des universités.
Emmanuel Macron vient de lancer une mobilisation générale face aux fake news, en voulant notamment écrire une loi sur cette question. "Que les autorités françaises pensent qu’il faille légiférer, comme le gouvernement allemand avec une loi très dure, cela me paraît logique. Par contre le vrai problème c’est qu’on met le doigt dans un difficile engrenage. Où va-t-on placer la sanction ? Qui sera à même de juger et d’établir la vérité des faits ? C’est le travail des journalistes e pas des juges" conclut Arnaud Mercier.
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