Dans la nuit du 17 au 18 mai 2024, la commission spéciale de l’Assemblée nationale a voté en faveur d’un accès élargi à l’aide active à mourir. L’une des conditions strictes qui avait été inscrite dans le texte initial, a été supprimée par les députés. Il s’agit de l’obligation pour le malade d'avoir un pronostic vital engagé "à court ou moyen terme" pour avoir accès à un geste létal. Une réécriture des dispositions qui pose question. Ce projet de loi est-il une véritable évolution sociétale ou plutôt une "rupture anthropologique", comme le martèlent les élus du RN et LR qui s’y opposent ? Frédéric Mounier et ses invités tentent de répondre à cette question dans cet épisode d’Où va la vie.
Elle était l’une des conditions d’accès à l’aide à mourir, finalement la disposition-phare selon laquelle un patient est obligé d’avoir "un pronostic vital engagé à court ou moyen terme" pour prétendre à un geste létal a été supprimée du texte législatif par la commission spéciale.
Cette disposition était largement décriée par les professionnels de santé, qui estiment difficile voire impossible de calculer le terme de l’existence d’un patient. "Je serais absolument incapable de prédire à quelques mois ce que vont devenir les gens. Même lorsque le décès du patient est attendu à court terme, c’est déjà difficile à prédire et souvent on se trompe", affirme Ségolène Perruchio, cheffe de service des soins palliatifs au centre hospitalier Rives de seine. Pour elle, la vie des personnes ne peut pas être réduite à de simples statistiques. "La médecine n’est pas toute puissante et moi encore moins", martèle-t-elle.
Mais si cette disposition était largement décriée, le fait qu’elle soit supprimée l’est d’autant plus. En effet, pour les opposants au projet de loi, retirer cette condition revient à faire tomber un garde-fou. En effet, de nombreux professionnels de santé craignent que cette loi ne s’adresse plus seulement à des exceptions mais qu’elle soit "une ouverture pour toutes les personnes qui souhaitent décider du jour de leur mort", s’inquiète le docteur Alexis Burnod, chef de service de soins palliatifs à l’Institut Curie et auteur de "Fin de vie, le cas de conscience", aux éditions de l’Observatoire.
Pour lui, cette disposition n’était d’ailleurs pas la seule à être trop floue. La notion de "maladie incurable" prévue par la loi pour accéder à l’aide à mourir est également sujette à interrogation car de nombreuses pathologies sont incurables, comme le diabète ou les cancers, illustre-t-il, craignant que beaucoup trop de personnes ne demandent à recourir à ce futur droit.
L’autre critère menacé selon les opposants au texte, c’est celui de l’âge. Jusqu’à maintenant, le texte prévoit que seules les personnes majeures puissent demander l’aide à mourir. Mais plusieurs voix se sont élevées pour demander l’abaissement de cette limite d’âge, notamment celle de Guillaume Trichard, le Grand maître de l’organisation franc-maçonnique du Grand Orient de France qui a été auditionné par la commission spéciale fin avril.
Face à cette position, l’avocat et essayiste Erwan Le Morhedec, ne peut pas s’empêcher de penser que nous sommes sur "une pente glissante". "Il est évident que le passage aux mineurs sera une des prochaines tentatives d'élargissement", alerte-t-il. Le fervent défenseur des soins palliatifs craint que la France n’en vienne au même dispositif qu’en Belgique, où les mineurs sont autorisés depuis 2014 à demander la fin de vie, s’ils sont atteints d’une maladie incurable et dont la "souffrance physique constante et insupportable ne peut être apaisée".
Pour l’auteur de "Fin de vie en république - Avant d’éteindre la lumière" publié aux éditions du Cerf, sous couvert de développer les soins palliatifs, ce texte est en réalité "plus radical que tous les systèmes qui existent aujourd’hui dans le monde". Il pointe notamment le fait que la loi permettrait à un proche d’administrer le produit létal, dans le cas où la personne elle-même ne serait plus en capacité physique de le faire. "C'est gravissime de le permettre", s’alarme-t-il.
Pour les professionnels de santé invités de cette émission, l’avenir que dessine ce nouveau texte est plus qu’incertain. Il modifierait en tout cas largement le métier de soignant. "Il y a beaucoup d’inquiétude sur la suite, souffle le docteur Ségolène Perruchio, comment va-t-on pouvoir concilier aide à mourir et continuer à les prendre en charge, à être à leur côté même quand c’est difficile ? Il y a quelque chose qui est antinomique". L’ordre des médecins a d’ailleurs rappelé à de nombreuses reprises que ce n’était pas un acte normal pour un médecin, qui a fait le serment de ne jamais provoquer la mort délibérément.
Alexis Burnod pointe lui aussi cette incompatibilité entre l’aide à mourir et l’exercice du métier de soignants : "c'est très difficile pour nous soignants de trouver une limite entre la personne dont il faut prévenir le suicide et la personne dont il faut accompagner le projet de suicide. On voit bien qu'il y a un moment où la frontière est difficile". Pour lui, tout comme pour sa consœur Ségolène Perruchio, la loi Claeys-Leonetti est largement suffisante pour accompagner les personnes en fin de vie, notamment avec la sédation profonde et continue.
Au-delà de ce changement évident dans l’exercice de leur métier, certains professionnels de santé craignent que l’offre crée la demande. "On constate une demande qui se développe, particulièrement dans les pays qui ont légalisé l'euthanasie. Il y a une espèce de contagiosité qui change les mœurs et qui donne envie d'avoir recours à cela", s’inquiète Alexis Burnod.
Au-delà de cet effet dangereux, "l’offre crée aussi la peur", selon Agata Zielinski, religieuse Xavière, docteure en philosophie à la Faculté Loyola à Paris et bénévole en soins palliatifs. "Il y a des populations qui se sentent visées, notamment les plus faibles et les plus vulnérables", constate-t-elle, insistant sur le fait qu’il est "illusoire" de dire que cette loi ne concernera que les personnes qui le veulent. "C’est-à-dire que ça créé une espèce d’obligation morale inconsciente pour certaines personnes, de se poser la question : est-ce que je suis concernée ? Est-ce que je gêne ? Et est-ce que finalement, ce ne serait pas une meilleure solution [de recourir à l’aide à mourir] ? Et ça, c'est grave", analyse-t-elle.
Avec ce débat, une liste de personnes "euthanasiables" semble d’ailleurs se dessiner, déplore le docteur Alexis Burnod. Les personnes souffrant de la maladie de Charcot en font d’ailleurs déjà les frais. "C’est assez malsain de voir la façon dont finalement on instrumentalise ces malades et dont on brandit en permanence cette maladie. Un peu comme s'ils voulaient tous mourir", s’agace Erwan Le Morhedec.
Tous les quatre estiment que seul le développement des soins palliatifs pourra faire reculer le souhait de recourir à l’aide à mourir et pourra offrir une fin de vie digne aux patients. Le texte sera débattu en séance publique à l’Assemblée nationale le 27 mai.
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