Contraction de "stagnation" de la croissance et d’"inflation", la stagflation menace désormais l’économie française. Entre le risque d’une hausse du chômage et d’une baisse du pouvoir d’achat, les ménages les plus modestes pourraient être les premières victimes.
Il ne suffit que de deux ingrédients, pour obtenir ce cocktail explosif. D’un côté, l’inflation : en France, les prix ont augmenté de 4,5% sur un an en mars, de 4,8% en avril. "L’inflation a commencé en 2021, lorsque l’activité économique est repartie après les confinements, observe François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes et président de Fipeco, un site internet d’informations sur les finances publiques. Les ménages avaient beaucoup épargné et, d’un coup, ils se sont mis à consommer, à demander beaucoup de biens. La production n’a pas suivi, donc les prix ont eu tendance à augmenter. Cela s’est aggravé avec la guerre en Ukraine, et aussi avec la stratégie zéro Covid en Chine, qui bloque l’activité économique."
De l’autre côté, une croissance du produit intérieur brut (PIB) qui ne progresse plus : elle est passée de 7% en 2021, à 0% au premier trimestre 2022. Une tendance qui, là aussi, ne date pas de la guerre en Ukraine. "Depuis plusieurs mois, il y a, par exemple, une pénurie de microprocesseurs, fabriqués essentiellement à Taïwan, qui n’arrive pas à suivre la demande puisque dès 2021, les gens ont demandé de plus en plus de produits industriels, ajoute François Ecalle. Cela s’est aggravé avec l’invasion de l’Ukraine, qui est surtout un exportateur de produits agricoles. Il manque du blé, du tournesol, ce qui réduit les activités dans beaucoup d’industries agroalimentaires, et donc la croissance ralentit."
Croissance nulle et inflation élevée : voilà pourquoi la menace d’une stagflation plane désormais sur l’économie. Une situation que la France a déjà connu dans les années 1970, lors des chocs pétroliers. Et qui engendre forcément des conséquences négatives : "Une inflation forte signifie que les ménages perdent du pouvoir d’achat, qu’ils commencent à s’inquiéter, précise le président de Fipeco. La croissance est faible, donc les entreprises risquent de moins embaucher et de faire augmenter le chômage."
Alors comment lutter contre cette stagflation ? Il y a, en réalité, deux moyens d’agir : pour limiter l’inflation, on peut jouer sur la politique monétaire. Autrement dit, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait relever ses taux d’intérêt, pour rendre les prêts moins attractifs, limiter l’argent en circulation, faire baisser la demande puis l’offre, et donc les prix. C’est une solution à laquelle la BCE réfléchit, mais qui pourrait conduire à une décroissance voire une récession. Concernant la croissance, justement, on pourrait la stimuler en développant plutôt la politique budgétaire, c’est-à-dire en prévoyant des dépenses publiques pour encourager la consommation.
Deux solutions qui peuvent s’entrechoquer en période de stagflation. "Si vous pondérez fortement le soutien de pouvoir d’achat par des dépenses publiques et un maintien de taux d’intérêt bas, vous risquez d’attiser davantage l’inflation, souligne l’économiste Pierre Jaillet, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors et à l'Institut des relations internationales et stratégiques. D’un autre côté, si vous luttez contre l’inflation, vous risquez d’avoir un impact récessif au moment précisément où la croissance à tendance à fléchir. Le nouveau gouvernement va donc devoir adopter une stratégie difficile à doser. Pour le moment, on est plutôt sur une ligne de soutien de pouvoir d’achat que de lutte contre l’inflation. Il n’y a pas de politique budgétaire restrictive puisqu’on prévoit une nouvelle loi rectificative des finances sur le pouvoir d’achat. Du côté monétaire, les taux d’intérêt réels devraient rester négatifs au moins pendant deux ou trois ans."
Malgré tout, d’après Pierre Jaillet, certaines entreprises pourraient être en difficulté si la croissance ne revient pas. Et les ménages les plus modestes devraient être les premières victimes de ce début de stagflation. "Il n’y a pas de problème général de pouvoir d’achat puisque, depuis 2020, la Banque de France a calculé qu’il y avait environ 170 milliards d’euros de surplus d’épargne qui n’ont, pour l’instant, pas été dépensés, estime l’économiste. En revanche, pour les catégories les moins favorisées, c’est double peine : elles sont plus exposées à la hausse du prix des biens, notamment dans l’énergie et l’alimentaire ; elles ont une épargne moins importante et ne sont pas concernées par le surplus. Donc, si l’on rajoute des mesures qui visent à soutenir le pouvoir d’achat, elles doivent être très ciblées pour, à la fois, éviter d’attiser l’inflation, préserver les finances publiques et être efficaces pour amortir le choc pour les ménages les moins favorisés."
Pierre Jaillet relativise tout de même, et estime qu’il est encore un peu tôt pour parler de stagflation. "Si l'on prend en compte les dernières analyses du Fonds monétaire international ou de la Commission européenne, on ne peut pas parler de stagnation, indique l'économiste. On est toujours sur une prévision de croissance de 3,6% en 2022 au niveau mondial, et de 2,3 à 2,7% dans la zone euro." Mais avec une inflation qui pourrait encore dépasser les 6% cette année, dans la zone euro, avant de redescendre à 3% en 2023. Reste donc à voir jusqu’à quel point la guerre en Ukraine va perturber ces prévisions et, par conséquent, notre quotidien.
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