Le président Joe Biden est en Europe cette fin de semaine pour négocier au plus près avec ses alliés européens concernant la guerre en Ukraine. Au programme, sommet du G7, de l’Otan et sommet européen. Le président américain se rendra ensuite en Pologne. Il est sur une vraie ligne de crête diplomatique, selon Françoise Coste, professeure d’études américaines à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès.
Peut-on noter un rapprochement entre les Américains et les Européens depuis le début de la crise ukrainienne ?
Françoise Coste : Disons que les liens entre les États-Unis et les alliés européens ont atteint un tel abysse pendant les années Trump que Biden change forcément la donne. On l'a vu l'année dernière lorsqu’il est venu en Europe et qu’il a apporté des garanties sur l'Otan. Je crois que si Trump était encore président, les Européens seraient terrorisés. Ils seraient convaincus de leur solitude en cas d'élargissement du conflit. Avec Biden à la Maison Blanche, les Européens sont rassurés sur l’état de l’alliance et sur le fait que les traités d’alliance seraient respectés. Aujourd’hui, à cause de la guerre, nous sommes encore sur une phase d’accélération de ce réchauffement des relations. Clairement.
Si Trump était encore président, les Européens seraient terrorisés
Les États-Unis ont déjà annoncé un embargo sur le pétrole russe. Joe Biden attend-il la même attitude de la part de ses alliés ? On sait que c'est une question qui divise en Europe...
C'est une position facile à adopter pour les États-Unis, car ils ne sont pas dépendants du tout du pétrole russe. Ils utilisent leur pétrole et en importent depuis l’Arabie saoudite et le Canada. Économiquement, ce n’est pas grand-chose, mais symboliquement ça reste spectaculaire. Et c'est intéressant car Joe Biden met le doigt là où ça fait mal pour les Européens. Ça peut donc pousser les États-Unis à tenter d'influencer la politique énergétique de l'Europe.
Mais quelles garanties pourraient apporter Washington en échange d'un engagement européen ?
La solution serait que les États-Unis parviennent à faire pression sur les pays du Golfe, en particulier l'Arabie saoudite, pour compenser le manque de pétrole russe en ouvrant les vannes de leur propre production. Ce serait la solution idéale. D’ailleurs, depuis le début de la crise, Biden tente de faire pression sur Riyad qui semble pour l’instant assez réticent. Encore une conséquence probablement des années Trump, car l’ancien président a beaucoup complexifié la situation dans cette région aussi.
Quelle est la priorité des États-Unis selon vous ? Leurs bonnes relations avec leurs alliés européens ? Leurs bras de fer avec la Chine ou la Russie ?
Sans hésiter, la priorité des États-Unis en ce moment, c'est avant tout éviter une guerre directe avec la Russie. C'est la hantise de la Maison-Blanche. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que Biden se rende en Pologne car c'est justement LE pays frontalier entre l'Ukraine et l'Otan. Si un incident devait dégénérer, c'ce serait là que cela se passerait. Au-delà des considérations économiques, je pense donc que la vraie peur de Biden est que l'Otan mette un doigt dans le conflit et qu’ensuite les obligations des traités et de l'alliance, fassent basculer le conflit dans quelque chose d'immense. À ce moment-là, il n’y aura pas de gradation du conflit, ce sera tout de suite une guerre nucléaire.
Cette analyse explique tout ce qu’on a pu reprocher à Biden. Mis à part la question du pétrole, il a été discret, assez peu été belliqueux, et pas agressif dans sa rhétorique. La comparaison avec Trump est assez frappante. Et cette prudence de Joe Biden s'explique. Ce n'est pas nécessairement de la mollesse, comme beaucoup lui reprochent, c'est plutôt le signe d'une grande angoisse dans les milieux politico militaires américains sur le fait que la situation pourrait dégénérer très vite et très dramatiquement.
Heureusement que le président des États-Unis est très expérimenté, notamment sur le plan international
Joe Biden a quand même eu des mots durs vis-à-vis de Vladimir Poutine qu’il a notamment qualifié de "criminel de guerre"
Oui, le président américain est monté d’un cran. En fait, il est pris entre la prudence des militaires et le poids de l'opinion publique américaine. Au plus il y a d’images qui arrivent d’Ukraine, au plus il subit de pression politique. Lorsque Biden a été élu à la Maison-Blanche, pour beaucoup de démocrates, c’était une élection à contrecœur. Il n’y avait pas l’enthousiasme de Barack Obama en 2008. Mais avec le recul, on se dit que, peut-être, il y a eu une forme de sagesse des foules à la primaire démocrate, puis à l’élection présidentielle.
Heureusement que le président des États-Unis est très expérimenté, notamment sur le plan international. Joe Biden a eu une longue expérience au Sénat et en tant que vice-président d'Obama où il a beaucoup voyagé, donc il connaît tous les rouages de la diplomatie américaine et de l'armée américaine. Par conséquent, s’il y a un leader aux États-Unis qui peut justement réussir à gérer cette tension impossible entre l'horreur que ressent l'opinion publique et les enjeux militaires très traumatiques, je pense que c’est lui.
Pour les Américains, l’enjeu est donc de limiter les velléités de certains pays européens ? On sait notamment que Joe Biden se rend en Pologne. Or, Varsovie avait proposé à Washington de mettre des avions de chasse à leur disposition afin que les Américains les livrent eux même à l’Ukraine. Une offre rejetée par les États-Unis…
Tout à fait… Idem pour la question de la no-fly zone [une zone d’exclusion aérienne qui consisterait à empêcher les avions russes d'utiliser l'espace aérien ukrainien pour soutenir l'invasion du pays, NDLR] au-dessus de l'Ukraine réclamée par le président Zelensky. C’est une ligne rouge pour Washington, car cela signifiera augmenter la participation ouverte et active des États-Unis dans le conflit, ce qui augmenterait le risque d'accident et donc d’acte de guerre pouvant déclencher un conflit encore plus terrible. C’est un exercice d’équilibriste, car Biden va devoir rassurer ses alliés en leur assurant que l'allié américain est toujours là, tout en limitant l'enthousiasme belliqueux de certains Européens. Il s’agit donc d’une diplomatie chirurgicale.
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