Le nombre de réfugiés ukrainiens vient de franchir, ce mercredi 30 mars, la barre des quatre millions de personnes, selon le HCR. Pourtant, en Russie, on ne parle toujours pas de guerre, puisqu'une loi interdit ce mot. Quelle dissidence est possible dans un pays où la propagande est permanente ?
Ce mercredi 30 mars, le nombre de réfugiés ukrainiens a franchi la barre des quatre millions de personnes. Un chiffre annoncé par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, commentent les observateurs. "Il est évident que la Russie veut exterminer le pays, l’Ukraine et ses habitants, et qu’elle veut mettre fin à l’existence de notre État comme État indépendant", rapporte la journaliste ukrainienne Iryna Vannykova, qui parle de "génocide de l’Ukraine".
Pourtant, en Russie, une loi interdit le mot "guerre". Une règlementation prévoit jusqu'à 15 ans de prison en cas de diffusion de "fausses informations" sur l'armée. "La Russie est revenue à un état de dictature totale", selon André Markowicz. Pour lui, "c’est le propre de toute dictature d’élaborer une langue et de créer une langue". De nombreuses études ont montré comment sous Hitler, sous Staline, on a élaboré un vocabulaire spécifique. "La langue est utilisée par le pouvoir de façon perverse, retournée… La perversion de la langue c’est une caractéristique d’une dictature." Traducteur notamment de l’œuvre de Dostoïevski pour Actes Sud, André Markowicz le sait bien, "il y a un vocabulaire spécifiquement soviétique, spécifiquement stalinien", par ailleurs compliqué à traduire...
En Russie, les médias restés jusqu’alors indépendants comme le journal Novaïa Gazeta ou la radio Écho de Moscou ont suspendu leur diffusion. Les sites internet des médias occidentaux sont bloqués. "Il y a un black out quasiment total de l’information qui permet de ne pas rapporter aux gens ce qui se passe vraiment", explique André Markowicz.
"La Russie vit dans ce mensonge permanent, dans la propagande permanente." La journaliste ukrainienne Iryna Vannykova, réfugiée en France, rapporte ce que la télévision russe diffuse comme message en Ukraine : "Que c’est l’Ukraine elle-même qui lance des bombes sur son territoire, que c’est l’Ukraine qui a envahi la Russie et que les avions de l’Otan bombardent Kiev..." "Imaginez dans quel mensonge vit le peuple russe en écoutant les mass médias russes. Plus le mensonge est grand, plus il est facile d’y croire !"
Dans ce contexte, quelles sont les voix de la dissidence en Russie et que risquent-elles ? Quelle contestation est possible ? Qui peut s’opposer à la violence de Vladimir Poutine dans son propre pays ? On se souvient le 14 mars de l’irruption durant le journal télévisé de la journaliste russo-ukrainienne, Marina Ovsiannikova, brandissant ces mots sur une pancarte : "Non à la guerre. Ne croyez pas à la propagande. On vous ment, ici". Si elle a été relâchée après son arrestation, elle risque encore une peine de prison.
En Ukraine, cinq journalistes, dont deux ukrainiens, ont été tués depuis le début du conflit, annonce Reporters sans frontières (RSF) ce lundi 28 mars. Selon André Markowicz, il y a aussi des cas d’intellectuels, de professeurs et d’écrivains tués dans les zones occupées. Y a-t-il une politique de massacre des élites intellectuelles ? "Ce ne serait pas étonnant, selon l’écrivain et traducteur, car ce que l’armée russe vise délibérément, ce sont les hôpitaux, les écoles… tout ce dont l’attaque est symboliquement monstrueuse, et ça, c’est absolument délibéré et constant."
"Les stations de télévision sont des cibles stratégiques" pour l’armée russe, alerte Iryna Vannykova. Les principales chaînes de télévision ukrainiennes se sont réunies pour fusionner et diffuser "un marathon de l’information". Elles ne traitent évidemment plus que de la guerre, de l’agression russe, des bombardements et de l’avenir de l’Ukraine... "Un travail à la limite de la vie et de la mort", pour lequel nombreux sont les journalistes qui vivent jour et nuit dans les studios.
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