La cérémonie d'hommage à Robert Badinter décédé dans la nuit du 8 au 9 février se tient ce mercredi place Vendôme à Paris. L'occasion de saluer une dernière fois l'ancien garde des Sceaux de François Mitterrand qui s'est battu pour l'abolition de la peine de mort en France, mais qui a aussi porté de nombreux autres combats toutes sa vie comme ceux contre l'antisémitisme ou contre l'homophobie. Pour son ancien collaborateur et ami, l'avocat Jean-Yves Dupeux, Robert Badinter a dédié sa vie au droit.
Maitre Dupeux, vous avez été un compagnon de route de Robert Badinter. Qu'est-ce que vous retenez de l'homme ?
Il était à la fois un ami très sensible à ce qui pouvait arriver aux autres. Il était très à l'écoute, au point que c'en était même surprenant, parce que quelquefois, il lui arrivait trois mois après de me redire ce que je lui avais dit un jour où je pensais qu'il ne m'écoutait pas. Il était plein de tendresse, de sensibilité. Il aimait beaucoup. Par exemple, même dans des affaires dans lesquelles je n'avais pas travaillé le dossier avec lui, mais qui étaient des affaires qui lui tenaient à cœur, qui le prenaient aux tripes, si je puis dire, il aimait beaucoup que je vienne avec lui à l'audience. Même si c'était à l'autre bout de la France. Il avait ce côté très affectif et c'est ce qui faisait de lui d'ailleurs le personnage attachant et le grand avocat qu'il était.
En 1977, vous, vous étiez jeune avocat. Vous étiez présent à Troyes lors du procès de Patrick Henry. Robert Badinter, évite la peine de mort à son client. Qu'est-ce que vous retenez de ce moment ?
C'est un moment absolument extraordinaire et inoubliable. Il a été amené à défendre Patrick Henry, qui était, si je puis dire, condamné à mort par la France entière. Il avait tué un petit garçon. Et puis, il y avait cette fameuse phrase, trois fois répétée, par Roger Gicquel, qui à l'époque présentait le journal de 20 h : « La France a peur ». Et donc, je crois que c'était l'archétype de quelqu'un qui pouvait être condamné à mort. Donc, il l'a défendu en se minant, parce qu'il savait que le combat serait extrêmement dur, extrêmement difficile à mener.
Je me souviens de ce jour de la plaidoirie. Il était livide. Il avait beaucoup maigri. Robert Badinter a fait une plaidoirie sur lui aussi, mais surtout sur la peine de mort, avec des mots particulièrement forts. « On prend un homme et on le coupe en deux ». Puis cette espèce d'adresse qu'il a eue à l'égard des jurés à la fin de sa plaidoirie, en les désignant en chacun du doigt, c'était terrible. Et en leur disant : « Vous savez, un jour, la peine de mort sera abolie en France. Si vous dites à vos enfants ou à vos petits-enfants: un jour, j'ai voté la mort d'un homme, alors vous verrez leur regard. »
L'autre grand moment de sa carrière, c'est ce discours à l'Assemblée nationale en septembre 80 pour les débats et le vote visant à abolir la peine de mort. Vous étiez présent ?
Oui, le moment était solennel, crucial. Mais oserais-je dire, il n'y avait plus cette atmosphère épouvantablement pesante qu'on avait à la Cour d'assises de Troyes. Le discours était magnifique, l'argumentation était très forte, mais pour moi, le vrai discours contre la peine de mort, c'est la plaidoirie devant aux assises de Troyes.
Ce combat contre la peine de mort, c'était un combat physique pour lui, avec des menaces, un combat dangereux qui allait contre l'opinion ?
Ça allait vraiment contre l'opinion. Et contre des gens qui étaient extrêmement remontés, pour ne pas dire extrêmement excités. Vous savez, à la sortie de la Cour d'assises de Troyes, il y avait des gens qui hurlaient « à mort Badinter ». C'était quelque chose de terrible. Dans les semaines qui ont suivi au cabinet, on recevait des lettres anonymes de menaces de mort. C'était épouvantable. Et même, je vais vous dire plus, certains clients prestigieux de Robert Badinter lui envoyaient des lettres extrêmement désagréables en lui retirant les dossiers. Et c'étaient des personnalités de premier plan. Donc, il fallait avoir du courage pour ça.
Et il y a eu une vie après l’abolition. Robert Badinter est resté une voix de la justice, un esprit révolté ?
Je dis souvent : il a été professeur. Il ne faut pas oublier que c'était un professeur engagé de droit. Il a enseigné le droit. Il a été avocat. Il a été garde des Sceaux, il a promu le droit. Il a été président du Conseil constitutionnel, il a contrôlé le droit. Et il a été sénateur, il a créé le droit. Donc, vous voyez, c'était un homme vraiment du droit. Mais il était toujours révolté. Moi, je l'ai vu piquer des colères quand les gilets jaunes promenaient l'effigie de Macron, juste la tête de Macron en carton, mais au bout d'une pique. Ça le rendait fou, mais fou furieux. Pour lui, c'était le souvenir de la peine de mort, de la tête coupée. Vous voyez, j'adorais parler de politique avec lui parce qu'il avait une vision extraordinaire de ce qui se passait, des décisions qui étaient prises, des jeux politiques. Il était vraiment quelqu'un que l'on écoutait.
Lors de l’hommage national consacré à Robert Badinter ce mercredi, le président de la République a annoncé son souhait de faire entrer l’ancien garde des Sceaux au Panthéon. "Votre nom devra s’inscrire aux côtés de ceux qui ont tant fait pour le progrès humain, pour la France et vous attendent : au Panthéon" a déclaré Emmanuel Macron dans son discours.
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