Il y a 50 ans, au cœur de l'été 68, paraissait l'encyclique du pape Paul VI, 'Humanae Vitae', qui fit l'effet d'une bombe dans l’Église. On retient en effet souvent de ce texte la condamnation de toutes les méthodes artificielles de contraception. Dans le contexte tendu de l'année 68, le pape savait qu'il allait être largement contesté : pourquoi donc a-t-il publié ce texte ? Comment le recevoir aujourd'hui ?
TÉLÉCHARGER ⺠Le texte intégral de l'encyclique 'Humanae Vitae'
Élaborée dans les années 50 et mise sur le marché entre 1962 et 1963 dans les pays d'Europe, la pilule contraceptive rendait possible la maîtrise de la fécondité de façon inédite, 'une petite révolution', précise Monique Baujard, 'saluée par beaucoup de femmes'.
Dès 1963, Jean XXIII (pape de 1958 à 1963) a demandé qu'une commission se penche sur le sujet. 'Le concile Vatican II [de 1962 à 1965] aurait pu se prononcer sur cette question-là mais Paul VI va retirer la question au concile.' Retirer le thème de la contraception artificielle mais aussi plus largement 'certains thèmes sur la famille parce que l'épiscopat n'était pas unifié sur cette question', ajoute le P. Burgun. Plus tard, lors du synode des évêques de 1967, Paul VI n'a pas non plus voulu aborder la question.
L'encyclique reflète donc l'avis personnel de Paul VI, en accord avec le principe de la primauté du pontife romain. Le pape a donc 'voulu donner son avis personnel' sur la contraception artificielle, à une époque où la collégialité avait été énoncée comme l'un des 'grands thèmes du concile Vatican II', rappelle la théologienne. 'La collégialité était souhaitée par les évêques, notamment le cardinal Léon-Joseph Suenens (1904-966)', rappelle Monique Baujard.
En 1966, les théologiens de la commission pontificale déclarent par 15 voix contre quatre que la contraception artificielle n'est pas intrinsèquement mauvaise. Les 24 et 25 juin 1966, ils approuvent par neuf voix contre cinq un texte final disant : 'il appartient aux [aux époux] d'en décider ensemble, sans se laisser aller à l'arbitraire, mais en ayant toujours à l'esprit et à la conscience des critères objectifs de moralité' (Michel Rouche, dans 'Paul VI et la modernité dans l'Eglise - Actes du colloque Rome 2-4 juin 1983'). Pourquoi ce fossé entre le texte de la commission pontificale et l'encyclique ? Par ailleurs, dans la 'Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes', l'un des principaux documents issus du concile Vatican II, promulgué en 1965, il est dit, rapporte Monique Baujard que 'c'est en conscience que les époux décident du nombre d'enfants qu'ils peuvent accueillir.'
Quand en 1968 parassait l'encyclique 'Humanae Vitae', 'tout le monde était surpris que le pape n'ait pas suivi la commission et laisse tomber un interdit formel'. Du côté des épiscopats belge, allemand, français et néerlandais, on a dit quelle était la position de l'Église mais que in fine, en conscience, c'était à chacun de décider. Comme le rappelle le P. Cédric Burgun, il existe une loi très ancienne dans l'Église, qui remonte à Benoît XIV, 'qui fait que l'évêque pouvait dispenser pour son diocèse de la réception d'un texte pontifical quand en consience il considérait que ce texte n'était pas recevable'. Le spécialiste de droit canonique précise : 'Aujourd'hui cette norme de droit canonique n'est plus formalisée en tant que telle mais beaucoup de canonistes considèrent que cette règle antique demeure.'
'Humanae Vitae' fait partie du magistère ordinaire et 'ne relève pas de l'infaillibilité' : 'À priori, dit la théologienne, c'est quelque chose que les catholiques doivent prendre à cœur, normalement qu'ils devraient suivre, mais ça n'annihile pas la liberté de conscience.'
Dans son encyclique, le pape Paul VI défend une vision de l'amour non possessif et les méthodes de régulation des naissances dites naturelles. À ce titre, pour le Père Burgun, 'Humanae Vitae' est un texte 'prophétique', car 'au fond il vient nous déranger' : 'Les méthodes naturelles continuent d'interpeller le monde parce qu'elles nous rappellent que notre corps ne nous appartient pas complètement.'
Ainsi, là où le texte incitait chacun à réflechir sur l'amour humain et le rapport au corps, la méthode employée par le pape a-t-elle eu vraisemblablement un effet contraire. Selon Monique Baujard en effet, ce texte a fait l'effet d'une 'interdiction tombée comme un couperet qui a tué toute discussion, qui a empêché les gens de réflechir', et de prendre le temps de de comprendre ce qu'est l'amour non possessif défendu par le pape Paul VI.
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