Le réserviste israélien, Nir Avishai Cohen, qui a servi 10 ans dans l’unité d’élite Golani, était à Bordeaux les 25 et 26 novembre 2024 pour rencontrer notamment des jeunes du lycée privé Saint Genès. Son objectif : faire entendre une autre voix pour sortir de ce conflit et demander le soutien de la communauté internationale. Dans son livre « Aimer Israël, soutenir la Palestine » (Ed. L'Harmattan, traduction Bertrand Bloch), il défend l’idée d’une solution à deux états, mais cela sous entend de faire évacuer les colonies juives de la Cisjordanie.
Fort de son expérience de dix ans au sein de l’armée israélienne, Nir Avishai Cohen témoigne aujourd’hui de ce qu’il a vécu lorsqu’il protégeait les colonies juives installées en Cisjordanie. Aujourd’hui réserviste, il souhaite faire entendre une autre voix pour mettre fin au conflit entre Israël et le Hamas. Entretien.
RCF Bordeaux : Dans votre livre « Aimer Israël, soutenir la Palestine », vous dénoncez à plusieurs reprises la désinformation de la population concernant le travail de l’armée en
Cisjordanie : quelle est la réalité ?
Nir Avishai Cohen : Je pense que nous devons d’abord séparer ce que fait l’armée en Cisjordanie et ce qu’elle fait dans le reste d’Israël, car le but principal de l’armée est de protéger le pays, de protéger Israël. Mais cela n'a rien à voir avec ce que fait l'armée israélienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. J'ai donc critiqué Israël d’envoyer Tsahal occuper la terre palestinienne, mais je n'ai pas de critique à l'égard d'Israël pour sa volonté de se protéger.
Ainsi, depuis 57 ans, il y a un régime militaire dans les territoires occupés, ce qui signifie qu'Israël existe en tant que démocratie à l’intérieur des frontières, les territoires occupés sont dirigés par l’armée israélienne. Les soldats sont envoyés dans les territoires occupés pour régner sur les civils palestiniens. Encore une fois, cela n’a rien à voir avec la sécurité ou la sûreté d’Israël. Et c'est de cela dont je parle dans mon livre. J’apporte ma propre expérience en tant qu'officier, en tant que combattant dans la Brigade Golani, ce que j'ai réellement fait dans les territoires occupés, comment j'ai traité les Palestiniens, les civils. Dans mon livre, je donne des exemples personnels que j'ai vécus en tant qu'officier, ce que j'ai vu exactement.
Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait là-bas dans les territoires occupés
Je pense donc que le livre est une opportunité pour comprendre quelle est la réalité sur le terrain, pas seulement à travers les slogans et par ce que vous voyez dans les médias, mais à quoi cela ressemble vraiment du point de vue de quelqu'un qui est là depuis dix ans. Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait là-bas dans les territoires occupés, mais j'en assume la responsabilité et je suis prêt à me lever et à dire oui, c'est ce que j'ai fait, même si ce sont de mauvaises choses. Mais il est maintenant temps d'en parler et de voir comment nous pouvons y remédier. Je ne peux pas changer l’histoire, mais je peux influencer l’avenir.
RCF Bordeaux : Pouvez-vous nous donner a un exemple ?
Nir Avishai Cohen : Oui bien sûr. Je vais donner un exemple dont j'ai parlé dans mon livre. En 2003, on m'a demandé de préparer mes soldats à arrêter quelqu'un suspecté de terrorisme. Mais mes soldats n'étaient pas assez entraînés. Donc, j'ai reçu ordre de mon commandant de faire une séance d'entraînement dans un village civil palestinien. Et je l'ai fait. Ce qui veut dire que je suis allé avec mes soldats à une séance d'entraînement et j'ai envoyé mes soldats encercler une maison au hasard. J'ai frappé à la porte très poliment et j’ai demandé à la famille de quitter la maison. Je suis entré sans aucune autorisation et sans aucune preuve à l’encontre de cette famille. Et après dix ou quinze minutes, j'ai quitté la maison et je suis allé dans une autre maison. Et c'est une chose courante de voir l'armée israélienne s’entraîner sur des civils Palestiniens. Je pense que c'est quelque chose de très mal et je repense chaque jour à ce terrible événement.
Aussi longtemps que les colonies existeront, nous ne pourrons parvenir à aucun accord avec les Palestiniens
RCF Bordeaux : dans votre livre, vous portez un regard très critique sur la présence des colons juifs en Cisjordanie
Nir Avishai Cohen : Absolument. Si nous voulons la paix et si nous voulons vivre dans un environnement sûr et sécurisé, nous devons opter pour la solution à deux États, c’est-à-dire l’État d’Israël à côté de l’État de Palestine. Et cela signifie que nous devons nous retirer de la Cisjordanie. Je pense que les colonies juives en Cisjordanie représentent la frontière – le point de bascule - entre un accord possible et la poursuite de la guerre. Donc, aussi longtemps que les colonies existeront, nous ne pourrons parvenir à aucun accord avec les Palestiniens.
RCF Bordeaux : Ce n’est pas rien de déplacer les colons juifs de Cisjordanie. Quelle est la solution pour ces personnes, où peuvent-elles aller ?
Nir Avishai Cohen : Tout d’abord, parlons des faits. En Cisjordanie, il y a environ trois millions de Palestiniens et quelques centaines de milliers de colons juifs. Il y a beaucoup de place en Israël pour ces 300 ou 400 000 personnes et Israël peut simplement les faire venir de Cisjordanie et les ramener dans l'État d'Israël. Donc La solution est donc très, très simple. En Israël, il y a dix millions d'habitants. Avoir quelques centaines de milliers de plus, c'est très, très simple et ce n'est pas un problème. La question est de savoir si, en tant qu'Israéliens, nous voulons parvenir à un accord de paix et mettre fin à la guerre. C'est l'essentiel. Et malheureusement, pour l’instant, ce n’est pas dans cette direction qu’Israël se dirige. Je pense que nous ne pouvons pas non plus ignorer la situation actuelle dans la bande de Gaza : il y a environ deux millions de Palestiniens et les Forces de défense israéliennes sont là depuis un an. La première étape consiste donc à instaurer un cessez-le-feu, à ramener les otages israéliens des prisons du Hamas et à se retirer de la bande de Gaza. Et cela conduira à la deuxième étape : l’Autorité palestinienne gouvernera dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Et la troisième étape sera un État palestinien. Mais encore une fois, cela ne peut se produire que si Israël veut aller dans cette direction.
RCF Bordeaux : Pour que la situation change, ne faudrait-il pas un changement de gouvernement israélien ?
Nir Avishai Cohen : Evidemment, je serai très heureux si le gouvernement actuel changeait, mais je pense que la principale chose qui peut changer la situation et commencer à la faire évoluer dans la bonne direction est une implication de la communauté internationale, c'est-à-dire évidemment l'UE, France, Allemagne, Royaume-Uni, sans oublier les Américains. A mon avis, le conflit ne peut être résolu uniquement par les Israéliens et les Palestiniens. Et c'est peut-être la principale raison pour laquelle je suis ici en France. Je dois demander l'aide du peuple français, demander au gouvernement de s'impliquer davantage et de faire pression sur Israël pour qu'il mette fin à cette guerre, et plus tard pour qu'il conclue un accord de paix avec les Palestiniens.
RCF Bordeaux : Justement comment votre message est-il reçu en France, en particulier dans la communauté juive ?
Nir Avishai Cohen : J'espère que mon message sera reçu dans le bon sens, dans un esprit d’ouverture. Je pense que beaucoup de gens dans le monde ne comprennent pas vraiment la situation. Ils parlent avec des slogans et de manière très générale. J'espère que les gens écouteront et seront capables de comprendre qu'il n'y a pas qu'une seule vérité. Je veux raconter l’histoire du point de vue d’un Israélien qui vit en Israël, mais sert également dans les territoires occupés et dans la bande de Gaza. Je ne cherche pas à être populaire . Ce n'est pas mon objectif. Mon objectif est de parler de mes valeurs. Mon objectif est de parler de ma volonté de changer la réalité.
Je pense que les jeunes partagent avec moi les valeurs des droits de l'homme, de l'égalité et de la démocratie
RCF Bordeaux : En France, vous rencontrez des jeunes aussi, comme ceux du lycée Saint-Genès à Bordeaux. Quelle message voulez-vous qu’ils retiennent ?
Nir Avishai Cohen : Je parle beaucoup avec les jeunes. C'est à ce public que je m’adresse, car je pense que si quelqu'un peut changer le présent et l'avenir, c'est bien la jeune génération. Je pense qu'ils ont le pouvoir et la passion de rendre leur avenir meilleur. Alors quand je parle soit avec des jeunes Français, soit avec des Israéliens ou des Palestiniens ou quiconque, je pense à leur avenir parce qu'ils peuvent influencer ce que sera Israël l'année prochaine, dans dix ans, 20 ans et 50 ans. Et c’est maintenant le moment de penser aux 25 ou 50 prochaines années. C'est pour cela que j'investis beaucoup d'énergie et beaucoup de temps en discutant principalement avec les jeunes. Je pense que ce sont eux qui peuvent influencer la réalité. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons rendre ce monde meilleur et je pense que les jeunes partagent avec moi les valeurs des droits de l'homme, de l'égalité et de la démocratie. Et ils peuvent nous conduire vers cet avenir
RCF Bordeaux : Comment voyez-vous l'avenir, gardez-vous un certain optimisme ?
Nir Avishai Cohen : Je pense que je ne serais pas là si je n’avais pas d’espoir. Cette dernière année en Israël l'a peut-être réduit, mis j'ai quand même espoir qu'Israël et la Palestine deviendront un bon endroit pour vivre. Nous devons travailler dur pour garder cet espoir et pour amener un bel avenir. A bien des égards, je pense que nous sommes actuellement à un carrefour en Israël : choisir de mettre fin à la guerre et bâtir un meilleur avenir, ou se diriger vers de nombreuses années de conflit violent avec des blessés et des morts. Et je veux prendre le bon virage. J'ai de l'espoir
« Aimer Israël, soutenir la Palestine » (Ed. L'Harmattan, 2024, traduction de l’enseignant bordelais Bertrand Bloch)
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