En février 2020, les premières révélations sur Jean Vanier avaient provoqué une véritable onde de choc, moins d'un an après sa mort. Le cofondateur de L'Arche était le porteur d'un message puissant d'accueil inconditionnel des personnes handicapées. Les révélations ont poussé L'Arche Internationale à lancer une enquête pour faire la lumière sur la véritable personnalité de Jean Vanier, mais aussi de son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe.
L’enquête révélée ce lundi 30 janvier par L'Arche internationale fait la lumière sur le profil de Jean Vanier, l'un de ses fondateurs. Elle révèle que 25 femmes adultes non porteuses de handicap ont été abusées par Jean Vanier. Lui-même aurait été selon les experts sous l’emprise de son père spirituel, le dominicain Thomas Philippe. Une autre enquête dévoilée ce lundi révèle le type de relations qu’entretenaient Thomas Philippe et son frère Marie-Dominique Philippe avec l’ordre des dominicains.
Philosophe et théologien, Jean Vanier (1928-2019) a été professeur d’université et a écrit de très nombreux ouvrages de spiritualité. Il est surtout connu pour avoir fondé la communauté de L’Arche en 1964, avec le dominicain Thomas Philippe (1905-1993), son père spirituel. Une association qui propose des lieux de vie et d’accueil aux personnes porteuses de handicap. L'Arche internationale est présente dans trente-huit pays sur cinq continents. Elle fédère près de 160 communautés dans le monde.
Moins d’un an après la mort de Jean Vanier, survenue le 7 mai 2019 (il avait 90 ans), la communauté de L’Arche avait rendu publique en 2020 une enquête sur ses fondateurs. Elle révélait les déviances commises par Jean Vanier et Thomas Philippe. Ces révélations ont provoqué une véritable onde de choc parmi les proches des communautés fondées par Jean Vanier. (Jean Vanier a aussi cofondé l’association Foi et Lumière avec Marie-Hélène Mathieu.)
En 2019, Jean Vanier a été enterré avec les honneurs. On pensait à le béatifier. Trois ans plus tard on en est là. C’est une surprise et un choc
À la suite de ces révélations, l’association a donc créé en novembre 2020 une commission d'étude composée de six chercheurs indépendants. Leur mission était de recueillir le témoignage de victimes, de mieux comprendre qui était Jean Vanier, et de mesurer en quoi sa spiritualité était propice aux abus. "L’objectif en lançant de cette enquête c’était vraiment de faire toute la lumière sur les faits reprochés à Thomas Philippe et à Jean Vanier. Il nous importait d’établir ces faits avec méthode", précise l’un des enquêteurs, l’historien Florian Michel.
L’enquête, qui a donné lieu à un rapport de 900 pages, porte principalement sur Jean Vanier mais concerne aussi Thomas Philippe et la communauté de L'Arche. Il s’agit notamment de spécifier la nature des liens qui unissaient Jean Vanier à Thomas Philippe. "En 2019, Jean Vanier a été enterré avec les honneurs. On pensait à le béatifier. Trois ans plus tard on en est là. C’est une surprise et un choc, exprime Florian Michel, maintenant c’est à L’Arche de recevoir et de traduire en interne les éléments de notre rapport."
Pour établir leur rapport, les chercheurs ont dû composer avec les archives d’un côté, avec les entretiens de l’autre. Le recueil des témoignages en particulier a été "un travail de longue haleine", précise Florian Michel. Plus d’une centaine d’entretiens, des centaines d’heures d’écoute. Une fois les sources reçues, il a fallu les analyser pour retracer les histoires. "On a été très pragmatiques, commente l’historien, il fallait rassembler et analyser les matériaux." Un peu comme "un puzzle avec des milliers de pièces dispersées".
La première étape a été de dresser l’inventaire de tous les lieux d’archives, puis de les regrouper. Au total, des milliers de lettres ont été retrouvées. Florian Michel se dit frappé par la qualité et l’abondance des matériaux.
Les chercheurs ont rencontré des proches de Thomas Philippe et de Jean Vanier, pour "pousser plus loin" l’enquête. Mais les entretiens se sont majoritairement faits avec les femmes victimes. D'ailleurs, certaines se disent victimes, d'autres survivantes, d'autres encore "partenaires consentantes d’une relation transgressive". La diversité des mots employés témoigne en tout cas de la difficulté à traiter cette affaire, comme souvent quand il est question d'emprise.
Les femmes qui ont témoigné, Florian Michel les décrit comme courageuses, souvent "réservées et gênées de parler". "Dans leur récit, elles s’arrêtent généralement au seuil de ce qu’elles ont vécu, au moment des premières caresses de Jean Vanier, nu dans un lit." Aux chercheurs de décrypter leur langage et de le confronter aux lettres retrouvées.
Dans la correspondance de Thomas Philippe, les lettres datées des années 1950 évoquent des relations "érotico mystiques" entre le dominicain et ses victimes. Aujourd’hui, à la lumière de ce qui est connu, on sait qu’il s’agit de relations sexuelles. "Le puzzle obtenu fait sens", estime Florian Philippe. L’objectif du rapport a été de collecter de manière très large pour obtenir un tableau net.
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