La député LREM de la 4ème circonscription de la Manche s'est opposée au projet de loi asile immigration dès ses débuts. Ce texte est loin de régler le problème migratoire à ses yeux.
Sonia Krimi, vous êtes originaire de Tunisie. Vous avez été naturalisée française en 2012. Les questions sociales ont toujours pris une place importante dans votre discours de députée LREM, élue il y a un an dans la 4ème circonscription de la Manche. Comment s'est construit votre carrière politique ?
Je ne considère pas la politique comme une carrière mais plutôt un passage d'une vie où l'on décide de mettre tous ses efforts au profit de la société. Cette décision d'investissement politique reste à mes yeux ponctuelle dans une vie.
En juin dernier, alors que la France refuse d'accueillir le navire humanitaire Aquarius, avec à son bord 629 réfugiés, vous manifestez votre colère face à cette décision du président Emmanuel Macron. Qu'est-ce qui vous a amené à vous positionner sur cet événement ?
Je voyais les différents États européens se renvoyer inlassablement le problème. Dans les faits, l'Aquarius était proche de la Corse, nous pouvions l'accueillir en Corse, à Nice ou encore à Marseille par exemple. La France a préféré faire la stratégie de l'autruche. C'est un comportement que je ne supporte pas. Intellectuellement, humainement et opérationnellement, nous avions les moyens d'accueillir ces personnes. En tant que pays des droits de l'Homme et du Citoyen, nous ne pouvons pas continuer d'envoyer ce message négatif alors que les extrêmes prennent de plus en plus d'espace sur la scène géopolitique mondiale.
Avez-vous reçu du soutien de la part des citoyens de votre circonscription dans la Manche après cette prise de position ?
Oui, énormément, beaucoup plus que ce que l'on peut imaginer. J'ai reçu des lettres de soutien, d'autres personnes sont directement venues me féliciter à ma permanence. Des personnes qui ne font pas partie de mon électorat m'ont manifesté leurs soutiens. Elles m'ont trouvé juste dans mes prises de position vis à vis des personnes stigmatisées dans notre pays que ce soit les réfugiés, les chômeurs, les personnes âgées ou encore les homosexuelles. Je n'ai pas cette vision électoraliste que les Français ne supportent plus, d'où le renouvellement politique actuel.
J'ai également suivi le parcours administratif, aux côtés d'associations du Cotentin, d'une dizaine d'Afghans qui souhaitaient partir en Angleterre. L'objectif était aussi de les convaincre soit de rester en France soit de rentrer dans leur pays puisque c'est impossible de franchir le port cherbourgeois car il est hautement sécurisé.
De nouvelles voix s'élèvent à vos côtés dans les rangs du groupe parlementaire LREM. Aina Kuric, élue dans la Marne, a été la seule députée LREM a voté contre la loi asile-immigration en nouvelle lecture dans la nuit du jeudi 26 juillet. Elle a d'ailleurs risqué d'être exclue de son groupe parlementaire pour cette décision, quelle est votre opinion face à cette situation ?
Aina est une amie, je la soutiens dans ce vote. Je pense que nous devons être libre de juger certains sujets. Tout le monde ne pense pas comme moi, pour autant j'ai l'obligation en démocratie de respecter les propos de mes confrères et consoeurs. Richard Ferrand (président du groupe parlementaire LREM à l'Assemblée Nationale Ndlr. ) prône de son côté la cohérence au sein de notre groupe, mais je considère que la cohérence ne doit pas nier nos différences.
Avec Aina Kuric, nous avons beaucoup travaillé sur l'amendement concernant les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte. Je comprends que l'accès à la citoyenneté française dans ce territoire français, vis à vis de la métropole, soit quelque chose qui la choque. Cet article de loi n'a selon moi rien à faire dans ce projet de loi asile-immigration, puisque dans ce cas précis il s'agit d'une situation qui concerne seulement 2 000 personnes. On ne fait pas une loi pour 2 000 personnes, on ne fait pas une loi pour remplacer une campagne d'information sur Mayotte et dans les Comores.
Dans une interview accordée à Vanity Fair, vous déclariez que vous ne regrettez pas d'avoir pris position sur la question migratoire. Vous ajoutez " J'attendais un virage entre la version 0 du projet de loi asile-immigration et la version finale ". Ce texte a été étudié en deuxième lecture mardi 31 juillet, au Sénat, est ce que ce virage est arrivé, selon vous ?
Nous avons obtenu de petites améliorations. J'ai obtenu le maintien des 30 jours pour que les réfugiés puissent déposer un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile. Globalement, je trouvais que cette loi envoyait un message négatif. Encore une fois, je considère qu'on ne fait pas une loi pour envoyer des messages, dans ce cas précis un message aux passeurs.
Je continurai de me battre sur ces thèmes lorsque nous étudierons le projet de loi de finances pour l'année 2019. Il faut mettre les moyens financiers pour les personnels des préfectures, des gendarmes et des policiers qui se retrouvent submergés par ces dossiers.
J'ai envoyé un bouquet de fleurs à Mme Lang comme réponse à ses propos, pour lui montrer ma tolérance et mon ouverture. Je ne suis pas une mère Thérésa, mais je considère qu'on n'a pas à parler aux gens comme ça. Dans mon ancien environnement professionnel, on ne se parlait pas comme ça. Aujourd'hui, j'entends des insultes quand je prends la parole, j'entends beaucoup plus que des "casse toi" de la part de certains des membres de notre groupe. Je voudrais passer un message à mes collègues qui crient dès que l'opposition parle : je ne crie jamais, je n'insulte personne et ce sur quoi on peut discuter avec moi c'est seulement sur mes idées et rien d'autre.
Je ne sais pas comment je parviens à supporter cette méchanceté et cet acharnement... Je considère que mon combat est juste. Notre campagne s'est voulue horizontale, nous avons co-construit le programme d'Emmanuel Macron. J'invite mes collègues à revenir aux valeurs de base axées sur la bienveillance. Emmanuel Macron a donné le ton de notre campagne législative. Je continuerai de suivre ce fil rouge tout au long de mes 5 ans de mandat.
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