Israël
La reconnaissance d'un État palestinien "n'est pas un tabou pour la France" a expliqué mercredi 22 mai le ministère des Affaires étrangères. La diplomatie française s'est justifiée après la décision conjointe de l’Irlande, de l’Espagne et de la Norvège de reconnaître l’État palestinien. “Pas tabou” mais Paris juge que les conditions ne sont pas réunies "à ce jour pour que cette décision ait un impact réel" sur le processus visant la solution à deux États. Paris peut-elle reconnaître à plus ou à moins long terme un État palestinien ? Éléments de réponse avec Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l’université internationale Schiller.
Myriam Benraad est professeure en relations internationales à l’université internationale Schiller.
Myriam Benraad : Je pense qu'il faut prendre en compte l'histoire de ces trois pays. On a tout d'abord la Norvège, qui a tout de même joué un rôle de médiateur de premier plan à l'époque des accords d'Oslo, qui est très engagée en faveur du processus de paix. Elle a toujours été très favorable à la solution à deux États qui devaient être mises en pratique par ces accords négociés à Oslo dans les années 1990.
Ensuite, on a l'Irlande, qui a toujours eu un positionnement très pro-palestinien, mais très lié aussi à l'histoire coloniale de l'Irlande. Et puis, évidemment, à la lutte qui a été celle des Irlandais pour leur indépendance contre les Britanniques.
Ensuite, on a l'Espagne, qui, pour des raisons d'affinité avec son voisinage méditerranéen, arabe, a toujours eu une politique très proactive aussi sur le dossier israélo-palestinien et notamment financière. Donc, tout cela est à prendre en compte parce qu'il y a une profondeur historique à cette volonté de reconnaître un État palestinien. Ce n'est pas simplement le résultat de la dernière séquence conflictuelle. Il y a vraiment une longue histoire qui éclaire pourquoi ces trois pays sont très attachés à cette solution.
MB : Oui, bien entendu, ne serait-ce que sur un plan symbolique, c'est très important. Par ailleurs, on parle de pays qui ne sont pas n'importe quels pays. L'Irlande, l'Espagne, la Norvège, trois pays, par ailleurs, européens qui, encore une fois, ont joué un rôle de premier plan dans le dossier israélo-palestinien. Donc, nécessairement, ça crée une symbolique. Alors, est-ce que ça va conduire demain à la création d'un État palestinien reconnu au niveau international, qui dispose de ses propres frontières, de sa propre sécurité, de sa propre gouvernance ? On est à des années-lumière de cette solution pour le moment. C'était important sur le plan diplomatique et en termes de capital symbolique, de reconnaître que les Palestiniens conservent, au même titre d'ailleurs que les Israéliens, leur droit à l'autodétermination et à la défense de leur peuple, de leur sécurité, de leurs droits les plus fondamentaux.
Israël, aujourd'hui, est bien sûr dans une situation de grande tension, et voit, dans cette reconnaissance, un danger. On peut tout à fait se l'expliquer, mais ça ne remet pas en cause certains fondamentaux du droit international qui préexistent largement à ce qui s'est passé dans les derniers mois. C'est là, en réalité, qu'on voit le drame de ce qui s'est produit finalement depuis octobre 2023. Le drame, c'est l'échec du droit international et la manière dont la guerre, dont la violence, a pris le dessus dans des proportions inimaginables.
MB : Si on en revient finalement à une date de référence, 1967, la guerre des Six Jours, qui aujourd'hui correspond aux territoires occupés palestiniens, et qui seraient les territoires constituant un éventuel État palestinien. De ce point de vue, la Palestine est déjà consolidée sur le plan du droit international, parce qu'il y a eu je ne sais combien de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité, votées par l'Assemblée Générale en faveur de cette création d'un État palestinien, en faveur de cette autodétermination. Donc, il n'y a rien de nouveau. Là, on a une montée en pression contre les Israéliens parce qu'on sent bien qu'il faut trouver une solution. Donc, face à cette ornière, il y a la volonté de la communauté internationale d'essayer de conjurer cette malédiction, en quelque sorte, et de proposer des solutions. Maintenant, est-ce que ces solutions sont applicables ? Malheureusement, vu la situation, ce sera compliqué.
Pour l'instant, je dirais que la position de la France a été un peu plus modérée. Quand je dis modérée, la France a tenté de se positionner dans une forme d'entre-deux. Après avoir, au début, soutenu assez massivement Israël face à ce qui s'était produit le 7 octobre. Les lendemains, la guerre à Gaza, etc, ont ramené Paris vers une position un peu plus modérée.
En revanche, je ne pense pas que la France ira jusque-là pour la simple et bonne raison que les répercussions de ce conflit, les réverbérations de la relance des hostilités en France ont été très importantes. On a eu un attentat. On a des répercussions au niveau sociétal qui sont catastrophiques avec une montée de l'antisémitisme qui est documentée chaque jour et dont on voit maintenant quand même très clairement les preuves. Donc, je pense que Paris prend toutes les précautions qui s'imposent. Mais c'est vrai que c'est très compliqué parce que quelle que soit la position de Paris, elle ne fera pas que des heureux.
C'est quand même très lié, historiquement, à l'histoire de l'OLP. L'OLP, comme d'autres factions palestiniennes à l'époque, étaient engagées dans des attaques de type terroriste, au nom de la cause palestinienne. Ensuite, il y a eu une normalisation de l'OLP, la création de l'autorité palestinienne et on a eu un certain nombre d'attentats en France. Il y a aussi l'histoire de l'Europe avec l’histoire de l’Holocauste et les relations très proches que les Européens ont longtemps entretenues avec les Israéliens.
Historiquement, l'opinion publique européenne, au sens large, était très favorable à Israël pour toutes les raisons évidemment liées à l'Holocauste. Donc, il y a eu un très fort soutien qui a commencé à peut-être revirer plus en faveur des Palestiniens au moment de la première intifada. On a encore aujourd'hui une partie de l'opinion publique qui est très favorable à Israël, surtout après le 7 octobre et encore plus dans le contexte français, parce qu'on a nous-même essuyé des attentats djihadistes d'une extrême violence. Donc, il faut faire attention à ce qu'on voit, ce qui est rendu très visible, et à l'opinion publique qui, à mon avis, est très partagée.
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