Plus de 15.000 migrants ont tenté de traverser la Manche depuis le début de l’année, des côtes françaises pour atteindre le Royaume-Uni. Contre 9.500 sur toute l’année 2020. Une situation qui s’aggrave et qui envenime les relations entre la France et son voisin britannique. Entre chantage financier et volonté de renégocier les traités, avec le Brexit par-dessus tout, les tensions sont à leur comble.
Les exilés sont très nombreux à essayer de traverser la Manche. 342 personnes ont été secourues en mer sur la seule journée de dimanche. 1.115 migrants l’ont été sur les journées de vendredi et de samedi dernier. Un camp a par ailleurs été démantelé mercredi à Grande-Synthe dans le Nord. Une situation qui inquiète le Royaume-Uni qui entend bien reprendre le contrôle de ses frontières et compte sur la France pour l’aider.
Pas convaincue de l’engagement français, Londres a menacé, par la voix de sa ministre de l’Intérieur Priti Patel, de renvoyer les migrants interceptés dans la Manche vers la France. Mais surtout de ne pas payer les 62,7 millions d’euros promis pour aider à financer la lutte contre le trafic illicite de migrants. "Priti Patel a dit qu’elle était furieuse que la France n’avait pas une politique suffisamment efficace pour les contrôles migratoires, ce qui est complètement faux parce qu’on assiste aujourd’hui à une augmentation de ces volontés de traverser. C’est une sorte de chantage politique et financier", explique Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes. Mais les autorités britanniques ont affirmé lundi que l’argent serait bien versé dans les prochaines semaines.
Cette tension entre les deux pays, les associations qui accompagnent les migrants la ressentent sur place. C’est une politique très répressive qu’elles dénoncent. "On essaye toujours de s’adapter à la situation. Mais on ne voit pas de perspective. On pense qu’on sera encore là dans 5 ans, dans 10 ans. Il y aurait trois raisons d’arrêter cette politique de blocage des exilés à la frontière : coûteuse, inefficace et cruelle", témoigne François Guennoc, président de l’association L’auberge des migrants à Calais.
En réponse à ces menaces de la part du Royaume-Uni, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé à ce que les accords du Touquet soient renégociés. Signés en 2003 et renégociés en 2018, ils visent à renforcer le contrôle des frontières de part et d'autre de la Manche, en permettant par exemple à des policiers britanniques d’effectuer des contrôles sur les côtes françaises et vice versa. Ils ont eu pour effet de déplacer la frontière britannique de Douvres, au Royaume-Uni, à Calais en France.
Renégocier l’accord pourrait être utile car les enjeux ont changé. "Le flux migratoire a considérablement augmenté et donc ce que veut dire le ministre de l’Intérieur c’est que la problématique n’est plus franco-britannique mais européenne", analyse Patrick Martin-Genier.
Le Royaume-Uni et la France devront en tout cas trouver un terrain d’entente pour gérer ces migrants. Mais sur le plan juridique, les deux pays sont-ils obligés de coopérer dans la Manche ? "Ça n’arrive pas à devenir une véritable obligation de coopération. On a les zones SAR, ‘search and rescue zone’ [zone de recherche et de sauvetage, NDLR], dans lesquelles chaque Etat responsable doit s’assurer qu’il y a une coordination pour les opérations de sauvetage. Même dans ces cas de figure, ce serait très difficile d’engager les responsabilités sur les seuls fondements de la non-coopération", répond Niki Aloupi, professeur agrégée de droit public à l’Université Paris II Panthéon Assas, spécialiste du droit de la Mer.
Ces tensions résultent en partie d’une posture adoptée depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. "Il y a de la part du Royaume-Uni une affirmation de sa souveraineté. Ça passe par une forme de patriotisme, de souveraineté, de confiance en soi qui est un peu repoussante", explique Clémence Fourton, maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences-Po Lille, qui vient de publier “Le Royaume-Uni, un pays en crises ?, dans la collection Idées Reçues du Cavalier Bleu.
Royaume-Uni doit donc verser prochainement l’argent promis à la France pour lutter contre le trafic de migrants. Le pays a commencé à faire adopter un projet de loi qui réforme le système d’asile et durcit les sanctions contre les passeurs, ceux qui facilitent les traversées contre une somme d’argent.
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