Nous étions une petite dizaine dans cette belle cathédrale ukrainienne au cœur de la ville. Des hommes, pères de famille, ukrainiens bien sûr, mais aussi russes et français. D’autres, par téléphone, s’associent à la prière humble et fidèle qui s’élève, de bouche en bouche, murmurée, régulière : "Seigneur Jésus, fils de Dieu, prends pitié de nous."
Avant que ne commence cette douce litanie, j’avais été invité à parler en quelques mots des migrants à Paris. Il faut bien en parler puisque plus personne n’en dit rien. Il faut bien répéter toujours les mêmes mots pour faire taire l’imposture qui consiste à ramener des dizaines de milliers de personnes honnêtes à la violence de quelques centaines. Comme si des commandos tchétchènes et des guerres de gangs de dealers nés en France pouvaient justifier la situation profondément inhumaine et contre nature que nos États imposent à des foules de plus en plus nombreuses. Oui, il faut bien prendre le risque de se répéter encore et encore pour que la mascarade du grand remplacement cesse d’être le refuge confortable pour l’esprit de ceux qui lèvent les bras au ciel en prétendant qu’il n’y a plus rien à faire.
Ainsi donc la veillée se déroulait, et cette poignée d’hommes, dont nul ne soupçonnait l’oraison, se confiaient les uns aux autres le poids de leurs angoisses, de leurs défunts, et la lumière d’une Espérance que rien ne peut éteindre. L’un d’eux, la quarantaine, se leva après m’avoir écouté et donna son témoignage. En France depuis quatre ans, sans aucun papier bien que venant d’un pays en guerre, il dit de sa langue simple et robuste comme lui, la peur qu’il éprouvait à chaque instant de chaque jour de croiser un agent et de se faire expulser.
Il racontait avoir la veille, en sortant du métro, aperçu en haut des marches un barrage de policiers. Il avait alors serré dans sa poche son chapelet qui le quitte pas et il avait prié, prié fort, prié profondément en redisant ces mots si essentiels : "Seigneur Jésus, fils de Dieu, prends pitié de nous." Et il était passé, à travers le contrôle, sans qu’on lui demande la moindre chose. Et en disant ces mots, il brandit son chapelet, des larmes dans les yeux. Sa voix, toujours douce, ne demandait plus rien. Il dit juste combien, lui qui avait un toit, il se sentait proche de ses frères migrants qui dorment dans nos poubelles. Et la prière du groupe reprit.
"Les migrants ou les réfugiés ne sont pas des pions sur l’échiquier de l’humanité" : cette phrase du pape François, rapportée dans un précieux petit livre qui sort tout juste, intitulé "François en poche", recueil de pensées rassemblées par Caroline Pigozzi, prend chair en ce visage venu d’Ukraine. Un autre père, plus jeune, assis à ses côtés, confia alors ses enfants à la prière de tous : les mains jointes il rêvait peut-être qu’il les prenait dans ses bras et que ses bras, ses bras d’homme, ses bras puissants, suffiraient à les protéger des tourmentes qui viennent et leur assurer une belle vie. Mais il sait bien que ses bras seuls, ne peuvent rien s’ils ne s’appuient sur ceux de Celui qui peut tout. Il sait aussi qu’il n’y a que les malheureux qui pensent pouvoir trouver par eux-mêmes des solutions aux drames du monde, et dans la peur une justification à trahir les promesses de leur baptême. Il sait surtout que sa prière et sa foi sont les canaux par lesquels se déploie la force même de Dieu qui "élève les humbles et relève les accablés".
En quelques instants, en peu de mots et beaucoup de silences, le témoignage de ces hommes évangélise plus sûrement que nombre de prêches et nombre d’ouvrages. Puissions-nous recevoir dans la parole et la prière du pauvre, la manne de notre quotidien !
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