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L'affaire McKinsey, un scandale d'État ?

Un article rédigé par Clotilde Dumay - RCF, le 1 avril 2022 - Modifié le 17 juillet 2023

Ils s’appellent McKinsey, Capgemini ou encore Accenture. En 2021, le gouvernement a dépensé environ un milliard d’euros pour obtenir leur expertise. L'opposition parle d'un "scandale d'État". Pourquoi ce recours excessif aux cabinets de conseil privés sous Emmanuel Macron ? La révélation du Sénat, à moins de dix jours du premier tour de l'élection présidentielle, va-t-elle mettre fin à un "âge d'or" des consultants ?

Machine d'impression de journaux. ©UnsplashMachine d'impression de journaux. ©Unsplash

À quelques jours de l’élection présidentielle, l’affaire prend de l’ampleur : dans un rapport publié le 17 mars 2022, le Sénat pointe "l’influence croissante" des cabinets privés qui conseillent l’État "sur sa stratégie, son organisation et ses infrastructures informatiques". Ils s’appellent McKinsey, Capgemini ou encore Accenture, et sont intervenus "sur la plupart des grandes réformes du quinquennat" d’Emmanuel Macron, d’après la chambre haute, qui estime que ces expertises ont coûté plus d’un milliard d’euros à l’État. "Le gouvernement assume pleinement le recours à ces renforts", a réagi Amélie de Montchalin, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique.

 

Retour sur les enjeux de cette affaire avec Matthieu Aron, grand reporter à L’Obs. Il est le co-auteur de l'ouvrage "Les Infiltrés" (éd. Allary), un livre qui a révélé l’influence des cabinets de conseil un mois avant la publication du rapport sénatorial.

 

Dans quels secteurs de la société les cabinets de conseil ont eu une influence au cours de ce mandat ?

 

Matthieu Aron : Dans l'éducation, dans la justice, au niveau du ministère de l’Économie, dans la défense ou l'organisation de nos armées. Depuis quelques années, on s'aperçoit que les cabinets de conseil sont présents dans tous les secteurs. 

 

Concrètement, jusqu’à quel point les cabinets de conseil ont organisé notre vie, depuis quelques années ?

 

Par exemple, on est partis de l'étude de ce qui s'est passé pendant l’épidémie. On peut, en fait, réécrire la réaction des pouvoirs publics en retraçant les contrats passés avec les cabinets de conseil dès mars 2020. Quand cette pandémie apparaît, on fait appel à un premier cabinet de logistique. Et ensuite, semaine après semaine, on va faire appel à des consultants, que ce soit pour organiser la distribution des masques, les tests et la vaccination.

Plus de 40 millions d'euros de contrats et une dizaine de cabinets de consultants ont suppléé l'État dans ce domaine. Après tout, en période exceptionnelle, on peut avoir recours à des moyens exceptionnels. Mais on se rend compte que, dans certains secteurs, des fonctionnaires auraient pu assurer ces missions. Pour organiser la distribution des produits, des logisticiens existent au sein de l'État, à Santé publique France et puis dans l’armée. On a un peu fait appel à eux, mais le gouvernement a préféré s’appuyer sur des cabinets privés.

 

Pourquoi ne pas s’être appuyé davantage sur la fonction publique ? 

 

Les cabinets de conseil vendent leurs services en affirmant qu’ils disposent des meilleurs experts. Et il faut reconnaître que les jeunes consultants, en tout cas dans les cabinets les plus prestigieux comme McKinsey, sont des étudiants qui sortent des plus grandes écoles françaises. Désormais, 30% des élèves qui sortent des formations d'élite à l’École polytechnique ou à HEC, par exemple, rentrent aujourd'hui dans des cabinets de conseil. Ce sont des gens très forts en mathématiques, c'est la raison pour laquelle on les appelle, parce qu'on leur demande d'avoir une capacité d'analyse et de synthèse hors norme. Et ce sont des gens bien adaptés aux sociétés privées. Ils sont dans un monde qu'ils connaissent parfaitement, et sont plus habitués à la mentalité du privé qu'à celle du public.

Ensuite, il y a deux cas de figure : soit il y a des doublons caractérisés, c’est-à-dire qu’il y a les compétences, en interne, dans la fonction publique mais que l’on fait tout de même appel à des cabinets privés. Second cas de figure : les compétences manquent.

On sait que, dans les dix prochaines années, nos services publics vont être complètement transformés par la numérisation. Il faut donc informatiser ces services, mais nous avons un déficit en la matière. Il y a environ 17.000 informaticiens, aujourd'hui, dans le service public. Au regard des plus de deux millions de fonctionnaires d'État, cela représente moins de 1%. Surtout, on n'a pas de grand chef de projet informatique, ce qui fait que tous les grands projets qu'on lance pour informatiser nos services publics sont confiés à des cabinets de consultants. On ne pourra donc pas rattraper notre retard. En revanche, il semble possible de former, au sein même de l'État, de grands chefs de projet. Il faut arrêter de confier systématiquement les clés aux cabinets de conseil.

 

 

Avec Emmanuel Macron, le recours aux consultants a de nouveau augmenté considérablement. Je crois que c'est culturel, chez lui 

 

 

Comment le gouvernement d’Emmanuel Macron a-t-il basculé dans ce recours excessif aux cabinets de conseil ? 

 

C'est un phénomène qui s'est amplifié ces dernières années, mais ce n’est pas nouveau. Celui qui a véritablement mis les cabinets de conseil au cœur de l'État, c'est Nicolas Sarkozy. Après, sous François Hollande, cela s’est un peu calmé. Et puis, avec Emmanuel Macron, le recours aux consultants a de nouveau augmenté considérablement. Je crois que c'est culturel, chez lui. En 2017, il a fait une promesse pendant sa campagne électorale : celle d'un nouveau monde, d’un nouveau type de société, plus agile et performante. C’est le même discours que celui des cabinets de conseil.

Mais je crois qu’Emmanuel Macron a évolué sur ce sujet lorsqu’il a vu que ce n’était pas négligeable d’avoir des personnels soignants et des hôpitaux compétents. Et aussi parce que, compte tenu des changements géopolitiques, on va avoir besoin d'un certain nombre de militaires. Or, ce ne sont pas les consultants qui vont prendre les armes. Je pense, donc, qu'il y a eu un âge d'or des cabinets de conseil, et on peut espérer que l’État va faire un peu plus attention en faisant appel à eux. 

 

Mais Emmanuel Macron a aussi des liens personnels avec des dirigeants privés…

 

C’est vrai que des consultants de McKinsey, et d’autres cabinets, l’ont aidé pendant sa campagne, en 2017. Notamment Karim Tadjeddine, un homme important au sein de McKinsey puisqu'il gère les marchés passés avec l'administration. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps, ils ont siégé ensemble à la commission Attali (chargée, par Nicolas Sarkozy, de présenter des recommandations pour relancer la croissance économique de la France).

 

Est-ce qu’on peut raisonnablement penser que McKinsey n’a pas payé d’impôts en France, comme l’affirme le Sénat ?

 

On a une entreprise qui fait partie du trio de tête des plus grands cabinets internationaux, et qui recrute des consultants parmi les plus grandes écoles au monde. Ce cabinet a pour spécialité de conseiller ses clients, que ce soit des privés ou des publics, sur leurs performances et le discours qu'ils ont à déléguer. Et dans le même temps, ce cabinet de conseil présente, depuis dix ans, un bénéfice nul. Quand on a, parmi ses clients, le ministère des Finances, on peut se demander comment se fait-il que Bercy n'ait pas fait attention à ce détail qui n'en est pas un.

 

Actuellement, l’opposition parle d’un scandale d’État : vous en pensez quoi ? 

 

Je dirais plutôt que c’est une affaire de l’État : qu’attendons-nous de l’État ? C’est la question centrale. Veut-on des services publics forts, avec des compétences renforcées ? Ou préfère-t-on avoir des services un peu plus affaiblis, et aller chercher ce qu'il manque dans le privé ? C'est un vrai débat de société.

 

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