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Laudate Deum : un texte très politique du pape avant la COP28

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 4 octobre 2023 - Modifié le 5 octobre 2023

À quelques semaines de la COP28 qui s'ouvrira le 30 novembre à Dubaï, le pape François publie ce mercredi 4 octobre un texte très politique. Inquiet, il demande instamment aux dirigeants de prendre leurs responsabilités.

 

Dans "Laudate deum" transparaît l'immense inquiétude du pape François (Photo le 30/08/2023, Vatican ©Vatican Media)Dans "Laudate deum" transparaît l'immense inquiétude du pape François (Photo le 30/08/2023, Vatican ©Vatican Media)

"« Louez Dieu » est le nom de cette lettre. Parce qu’un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même." Ce sont les derniers mots de "Laudate Deum", l'exhortation apostolique publiée par le pape François ce 4 octobre 2023 en la fête de saint François d'Assise. Le contenu de ce texte court correspond à ce que François avait annoncé le 21 septembre : "un regard sur ce qui s'est passé" et "dire ce qu'il faut faire"

 

 

 

Téléchargez la nouvelle exhortation apostolique "Laudate Deum"

 

 

 

L'immense inquiétude du pape François

 

La première chose qui transparaît à la lecture de ce texte, c'est l'immense inquiétude du pape et le sentiment d'urgence qui l'habite : "Nous ne pouvons plus arrêter les énormes dégâts que nous avons causés. Nous avons juste le temps d’éviter des dégâts encore plus dramatiques." (LD16). François fait le constat qu'en huit années, depuis la parution de l'encyclique Laudato Si', la situation s'est beaucoup dégradée et la réponse politique est faible.

 

La troisième partie du texte est intitulée "la faiblesse de la politique internationale". Le pape fait une relecture des Conférences internationales sur le climat, les COP et le tableau brossé fait apparaître assez peu d'avancées. Et lorsque dans la cinquième partie, consacrée à la COP28 qui s'ouvrira le 30 novembre à Dubaï, le pape évoque les attentes vis-à-vis de cette conférence, l'inquiétude est très claire : "Nous savons qu’à ce rythme nous dépasserons dans quelques années seulement la limite souhaitable de 1,5°C et que nous pourrions atteindre en peu de temps 3°C, avec le haut risque d’atteindre un point critique. Même si nous n’arrivons pas à ce point de non-retour, il est certain que les conséquences seraient désastreuses et que des mesures devraient être prises hâtivement, avec des coûts énormes et des conséquences économiques et sociales extrêmement graves et intolérables. Si les mesures que nous prenons maintenant ont des coûts, ceux-ci seront beaucoup plus lourds si nous attendons encore plus longtemps." (LD 56)

 

 

 

 ÉCOUTER ► SÉRIE PODCAST : Quel impact a eu l'encyclique Laudato Si' ? 

 

 

 

Un texte très politique

 

Car "Laudate Deum" est très politique et très tourné vers la COP28. Sil est adressé "à toutes les personnes de bonne volonté" et si une mention particulière est faite aux catholiques dans la sixième et dernière partie, ce sont d'abord les décideurs politiques qui sont visés.  Le pape exprime une attente claire vis-à-vis de la conférence de Dubaï : "On ne peut qu’attendre des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : efficaces, contraignantes et facilement contrôlables." (LD 59)

 

Pour François, c'est du "multilatéralisme" que viendra le salut. Un multilatéralisme à inventer : "Plutôt que de sauver l’ancien multilatéralisme, il semble que le défi consiste aujourd’hui à le reconfigurer et à le recréer à la lumière de la nouvelle situation mondiale." (LD 37) Et pour montrer que c'est possible, le pape rappelle le succès du processus d’Ottawa sur l'élimination des mines antipersonnel. Ce nouveau multilatéralisme est à inventer selon lui à partir d'une complémentarité et même d'une subsidiarité entre les échelons local et global. Il s'agirait d'un multilatéralisme à l’écoute de ce qui se vit localement pour que ce soit utile à tous. 

 

L'insistance du pape sur la responsabilité politique est pragmatique : "Il faut être sincère et reconnaître que les solutions les plus efficaces ne viendront pas seulement d’efforts individuels, mais avant tout des grandes décisions de politique nationale et internationale." (LD 69) Pour autant, le pape estime que les actions individuelles sont utiles, surtout parce qu'elles sont de nature à enclencher un changement culturel. Or "pas de changement durable sans changement culturel, sans maturation du mode de vie et des convictions des sociétés, et il n’y a pas de changement culturel sans changement chez les personnes". (LD 70) Et d'ajouter au point suivant : "Nous remarquons donc que, même si cela n’a pas immédiatement un effet quantitatif notable, cela aide à mettre en place de grands processus de transformation qui opèrent depuis les profondeurs de la société." (LD 71)

 

 

 

Le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession : accroître au-delà de l’imaginable le pouvoir de l’homme

 

 

 

Sortir du "paradigme technocratique" et du mythe de la croissance illimitée

 

Selon le pape, comme déjà développé dans "Laudato Si'", ce changement de culture consiste à sortir du paradigme technocratique et du mythe de la croissance illimitée. Au paragraphe 22, il détaille : "Les ressources naturelles nécessaires à la technologie, comme le lithium, le silicium et bien d’autres, ne sont certes pas illimitées, mais le plus grand problème est l’idéologie qui sous-tend une obsession : accroître au-delà de l’imaginable le pouvoir de l’homme, face auquel la réalité non humaine est une simple ressource à son service. Tout ce qui existe cesse d’être un don qu’il faut apprécier, valoriser et protéger, et devient l’esclave, la victime de tous les caprices de l’esprit humain et de ses capacités." 

 

La deuxième partie de l'exhortation apostolique "Laudate Deum" est intitulée : "Davantage de paradigme technocratique". Et le pape, citant "Laudato Si'", rappelle ce que veut dire pour lui cette expression : "Au fond, il consiste à penser « comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même »." (LD 20) Et le pape de mettre en garde contre le technosolutionnisme qui consiste à penser que des innovations technologiques permettront de répondre de manière exhaustive au défi écologique.

 

 

 

→ À LIRE : Le mythe du progrès : croire que la technologie viendra à bout de la crise écologique

 

 

 

Pour François, le paradigme technocratique atteint le lien entre l'humanité et la nature qui, selon lui, n'est pas "un simple cadre". Car l'être humain fait partie de la nature (LD26). Selon le pape, une relation saine et harmonieuse entre l’être humain et son environnement est possible, a existé, et existe encore dans les cultures indigènes. "Le grand problème aujourd’hui, écrit-il, est que le paradigme technocratique a détruit cette relation saine et harmonieuse." (LD27) Et d'inviter à repenser la question du pouvoir humain et de ses limites : "Lucidité et honnêteté sont nécessaires pour reconnaître à temps que notre pouvoir et le progrès que nous générons se retournent contre nous-mêmes." (LD 28)

 

 

 

Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques

 

 

 

Les arguments des climatosceptiques démontés de façon argumentée

 

Très pédagogique, le texte démonte les arguments des climatosceptiques et les affirmations avancées dans les conversations du quotidien, sans être étayées. Par exemple : "Pour ridiculiser ceux qui parlent de réchauffement global, il est fait référence au fait que, souvent, on constate aussi des froids extrêmes. On oublie que ces symptômes extraordinaires, avec d’autres, ne sont que des expressions alternatives de la même cause : le déséquilibre global provoqué par le réchauffement de la planète." (LD 7) Comme "Laudato Si'", "Laudate Deum" est un excellent outil de vulgarisation. Par exemple sur la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère (LD 11). Le pape s'appuie sur des données et des observations scientifiques précises, de témoignages, d'expériences : "Je ne parle pas en raison d’une imagination débordante, mais à partir d’une expérience vécue." (LD30)

 

 

 

→ À LIRE : Le climat et la sécheresse, nouveaux terrains de jeu des conspirationnistes

 

 

 

À plusieurs reprises, le pape appelle à cesser "les moqueries" à l'encontre de celles et ceux qui alertent et se mobilisent pour la sauvegarde de la création et qui sont souvent "ridiculisés". Et le pape d'évoquer "certaines opinions méprisantes et déraisonnables  [qu'il] rencontre même au sein de l’Église catholique". (LD 14). Et plus loin : "Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques." (LD 58) Et le pape reconnaît et semble encourager une diversité de formes d'engagement, y compris des manières de lutter qui peuvent être jugées radicales:  "Lors des Conférences sur le climat, les actions de groupes fustigés comme “radicalisés” attirent souvent l’attention. Mais ils comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine “pression” ; car toute famille doit penser que l’avenir de ses enfants est en jeu."

 

 

 

→ À LIRE : Lutte et Contemplation : "Laudate Deum confirme la nécessité d’une mobilisation collective et radicale"

 

 

 

L'espérance chrétienne pour ne pas baisser les bras

 

À la tonalité de l'exhortation apostolique "Laudate deum", on peut se dire que seule l'espérance chrétienne permet au pape de ne pas baisser les bras et de continuer d'alerter et d'appeler à la responsabilité. C'est certainement cette espérance qui lui permet d'écrire ceci : "Si nous avons confiance dans la capacité de l’être humain à transcender ses petits intérêts et à penser en grand, nous ne pouvons renoncer à rêver que cette COP28 conduira à une accélération marquée de la transition énergétique, avec des engagements effectifs et susceptibles d’un suivi permanent. Cette Conférence peut être un tournant si elle démontre que tout ce qui a été fait depuis 1992 était sérieux et en valait la peine, sans quoi elle sera une grande déception et mettra en péril tout le bien qui a pu être accompli jusqu’à maintenant." 

 

Tout au long du texte, le pape s'efforce de souligner les progrès réalisés, mais au final, la balance penche très largement du côté de la faiblesse des décisions et de la poursuite de la fuite en avant. C'est pour cela que, même si elle arrive à la fin du texte, en seulement quelques paragraphes, la convocation des ressources spirituelles - au-delà même du seul christianisme - est salutaire : "Car nous savons que la foi authentique donne non seulement des forces au cœur humain, mais qu’elle transforme toute la vie, transfigure les objectifs personnels, éclaire la relation avec les autres et les liens avec toute la création." (LD 61) 

 

Pour François, le changement nécessaire ne viendra pas de notre seule volonté, mais d'une "autre origine qui est à la racine de notre être, car « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour chacun ; et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ». Ainsi, nous mettons fin à l’idée d’un être humain autonome, tout-puissant et illimité, et nous nous repensons pour nous comprendre d’une manière plus humble et plus riche."

 

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