"Le pire n’est pas certain", c’est déjà dans cet esprit que j’avais écrit l’Abécédaire de l’écologie joyeuse et il me semble qu’à l’approche des fêtes de Noël nous devons favoriser tout ce qui fait naître un peu d’espérance…
Fin 2010, Edgar Morin, s’exprimant sur l’année écoulée et pointant sans relâche les dérives capitalistes de l’homo sapiens devenu homo démens au service de l’illusion financière, achevait son texte par une citation turque : "Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra".
Je viens de terminer un livre de Catherine et Raphaël Larrère qui s’appelle "Le pire n’est pas certain" où les deux philosophes cherchent à faire passer la lumière par les petites brèches qui ouvrent de nouveaux chemins là où parfois nous ne voyons qu’une sombre falaise. Tous ceux qui approchent le sujet de l’écologie ne font que davantage constater sa complexité. Mais comment en être autrement quand il s’agit d’une discipline qui, par essence, nous invite à considérer que tout est lié ? Pas facile pour l’impatient de résister à la tentation de tirer un lien trop rapidement, au risque de transformer la pelote en boule de nœuds.
Je me souviens de ma mère qui, lorsqu’une ficelle s’emmêlait, la réclamait pour s’appliquer avec calme à la dénouer. "Et voilà", disait-elle quelques instants plus tard à l’enfant pressé que j’étais.
Je suis assez impressionné par ce moment que nous vivons qui confond davantage qu’il unit, qui sépare davantage qu’il ne distingue. Notre société est avide de réponses affirmées et redoute les questions ouvertes. Elle veut d’urgence éclairer les nuits au risque de brutaliser leurs enfantements.
Catherine et Raphaël Larrère n’affirment rien. Ils remontent les fils de l’histoire en battant en brèche quelques effets attribués à de mauvaises causes (et réciproquement). Nous avons autant besoin de leur espérance étayée que des mots forts d’un Pablo Servigne qui questionne notre manière d’habiter la terre. Il peut sembler plus confortable de tenir pour acquise une idée simple sans la considérer de nouveau car lorsque la démonstration de son impertinence advient la chute est parfois brutale.
C’est bien ce qui se passe actuellement pour tous ceux, dont je fais partie car je suis un littéraire, qui avaient l’habitude de considérer que l’argument "c’est scientifique" marquait la fin de la discussion. La période Covid met à bas cette confiance confortable que nous avions dans les sciences qui s’avèrent bien plus tendres que la dureté de leur réputation.
Certains vivront ce moment comme profondément inconfortable. D’autres comme une occasion d’exercer leur libre-arbitre, de questionner même les réponses les plus définitives, de faire débat. Les créatifs vont s’en donner à cœur joie, tout comme les poètes et les artistes. C’est leur matière première les questions sans réponses, les doutes, les univers inconnus, les nuits enceintes… Alors soyons un peu potiers et acceptons nos doutes comme une argile tendre à travailler avec douceur et indulgence.
Chaque jeudi, à 7h20 dans la matinale, la chronique de Julien Dezécot, Directeur de publication, cofondateur du Magazine Sans transition, et de Lucile Schmid, essayiste, ancienne conseillère régionale d'Île-de-France et co-fondatrice de La fabrique écologique.
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