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Le projet de loi contre le séparatisme: un texte clivant

Un article rédigé par Clotilde Dumay - RCF,  - Modifié le 26 juin 2021
Le dossier de la rédactionLe projet de loi contre le séparatisme: un texte clivant
Après deux semaines de débat à l’Assemblée nationale, le projet de loi contre le séparatisme doit être solennellement voté par les députés, ce mardi 16 février.
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C’est l’une des lois les plus importantes du quinquennat d’Emmanuel Macron. Le président de la République en avait esquissé les grandes lignes lors d’un discours au Mureaux, début octobre 2020, quelques jours seulement avant l’assassinat de Samuel Paty : le projet de loi "confortant le respect des principes de la République", souvent surnommé projet de loi "contre le séparatisme", doit être voté solennellement par les députés, ce mardi 16 février. 

Après 135 heures de débats en commission et en séance plénière, et plus de 300 amendements adoptés, l’Assemblée nationale a apporté quelques modifications au texte initial. D’abord en ce qui concerne l’instruction en famille (IEF) : l’article 21 durcit les règles, en passant d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation administrative pour les parents souhaitant instruire leurs enfants eux-mêmes. Cette autorisation ne pourra être délivrée que dans certains cas, qui ont toutefois été élargis lors de l’examen du texte : pour raison de santé, handicap, pratique artistique ou sportive, itinérance de la famille, éloignement d’un établissement ou "situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif". 

Une période de transition est prévue jusqu’en 2024, mais "cela fait plus de 20 ans que la vis se serre chaque année", regrette toujours Walerian, membre de l’association Les enfants d’abord. "Il y a déjà un double contrôle administratif et pédagogique qui est organisé, avec une enquête de la mairie tous les deux ans, rappelle-t-il. Et puis chaque année, les parents doivent déclarer leurs enfants et l’inspection d’académie peut organiser un contrôle dans les trois mois qui suivent cette déclaration. Donc je ne vois pas en quoi il y a des carences et des doutes à lever."

Création d’un délit de séparatisme et lutte contre la haine en ligne

Moins clivantes, d’autres dispositions ont aussi été rédigées après l’assassinat de Samuel Paty, le professeur décapité pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves : le projet de loi crée un délit de séparatisme punit de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Il prévoit également un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusions d'informations relatives à la vie privée d’une personne. "Les enseignants ont le sentiment d’une certaine solitude dans leur classe, reconnaît François Dubet, sociologue spécialiste de l’éducation, en soulignant l’intérêt de ces dispositions. Mais le vrai problème, c’est de faire en sorte que les établissements aient une forme de doctrine sur ces questions, pour que les enseignants sachent quoi répondent aux questions des élèves."

Former la société au fait religieux

D’après Eric Vinson, il faudrait même, plus largement, que l’ensemble de la société soit mieux formé à ce sujet. Car d’après le spécialiste du fait religieux et de la laïcité, ces lacunes expliquent en partie "l’hystérisation" du débat autour de ce projet de loi. "On part d’un niveau de méconnaissance, d’ignorance, d’inculture et de non-maîtrise du vocabulaire approprié, qui conduit à tout un tas d’impasses car les choses sont mal nommées", souligne-t-il. 

Eric Vinson ne voit donc pas d’un bon œil les dispositions du Titre II du projet de loi qui vise à "garantir le libre exercice du culte". Les autorités religieuses sont également inquiètes parce qu’elles estiment que certaines mesures vont peut-être trop renforcer le contrôle des cultes dans leur ensemble, et non pas seulement lutter contre le séparatisme islamiste. L’article 27, par exemple, impose une "obligation de déclaration, auprès du préfet, de la qualité cultuelle de toute association qui veut bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles"

"Pas de mesures positives à l’égard du religieux"

Pour Eric Vinson, ces mesures changent donc totalement l’esprit de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État : "Ce qui est frappant, c’est la surreprésentation de mesures de type sécuritaire où on réduit les libertés, on augmente le contrôle administratif sur des aspects de la vie religieuse mais ce qui manque, c’est l’approche plus culturelle, éducative, sociale, regrette le spécialiste. Entre temps, il y a eu quelques propositions pour la lutte en faveur de l’égalité des chances, mais elles ne sont pas à la hauteur du volet policier déployé sur le contrôle des religions et, surtout, il n’y a pas de mesures positives à l’égard du religieux. Bien sûr qu’il faut faire un travail de renseignement, de lutte contre le terrorisme mais je n’ai pas l’impression que ce projet de loi aura un effet sur des gens qui ont des projets d’attentats."

Une loi pour lutter contre le "djihadisme d’atmosphère"

Pourtant, Gilles Kepel pense tout le contraire : le politologue spécialiste de l’islam et du monde arabe estime que ce texte peut permettre de lutter contre ce qu’il appelle, dans son livre intitulé "Le prophète et la pandémie", un "djihadisme d’atmosphère", c’est-à-dire une forme de djihad différente des précédentes incarnées par Al-Qaïda et Daesh.

"Dans le cas de l’assassinat de Samuel Paty ou de l’attentat à la basilique de Nice, aucun des terroristes n’appartient à une organisation, souligne Gilles Kepel. Il y a eu une atmosphère de haine diffusée à travers les réseaux sociaux, et vous avez des individus qui se sont 'djihadisés' par Internet et la fréquentation de certains lieux de culte radicaux, et qui ont décidé de passer à l’action. On n’est plus dans la logique que suivaient les services de police autrefois : il y a un attentat, on remonte une filière, etc. Il faut agir en amont, et c’est le sens de ce projet de loi. C’est bien sûr un enjeu complexe, mais on est un peu dans une sorte d’état d’urgence, comme on l’est quand on lutte contre la pandémie. C’est difficile à accepter, mais c’est une situation qui, malheureusement, est dictée par des évènements contre lesquels nous sommes contraints de réagir."

Le débat n’est, de toute façon, pas terminé puisqu’après le vote solennel à l’Assemblée nationale, ce projet de loi "confortant le respect des principes de la République" devrait arriver au Sénat à la mi-mars.

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