Entre Xi Jinping et Vladimir Poutine, la lune de miel ne fait que commencer. Le président chinois achevait ce mercredi matin un déplacement de deux jours en Russie, l'occasion pour lui de souligner, sous les ors du Kremlin, les "relations étroites" qui unissent les deux pays.
Alors que s'enlise le conflit en Ukraine, Chine et Russie renforcent leur partenariat militaire, en témoignent les manœuvres navales conjointes en mer de Chine en décembre dernier. Pour l'heure, la première rechigne à livrer des armes à la seconde. Le rapport de force penche nettement en faveur de Xi Jinping. "Il y a dix ans, son premier voyage avait été à Moscou", rappelle Christine Ockrent, journaliste spécialiste des relations internationales, dont le dernier livre ausculte la situation chinoise*. "Ce qui est fascinant, c'est de voir le renversement complet du rapport de force entre le dirigeant chinois et le dirigeant russe. Bien évidemment, et cette visite a été extraordinairement révélatrice en ce sens, Poutine est devenu le vassal de Xi Jinping", ose-t-elle. "Vassal économique : sous la pression des sanctions occidentales, la Russie vend et veut vendre davantage encore, fût-ce à prix cassé, du gaz, du pétrole, du blé, à la Chine qui en a grand besoin".
La Russie vend et veut vendre davantage encore, fût-ce à prix cassé, du gaz, du pétrole, du blé à la Chine qui en a grand besoin
Boycott occidental oblige, la Russie a vu exploser ses exportations de gaz vers la Chine en 2022. À l'issue de leur entrevue, le président russe a annoncé devant son homologue chinois que "50 milliards de mètres cubes de gaz" transiteront par le futur gazoduc Force de Sibérie 2, qui doit être mis en service prochainement pour relier les deux pays.
Après sept ans de rupture, l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite ont annoncé, le 10 mars, le rétablissement de leurs relations. Jouant les médiateurs dans cet accord historique, Pékin a réussi l'exploit de faire primer les malentendus de ces deux pays avec la Maison-Blanche sur leurs différends confessionnels. "C'est le rêve chinois que veut à tout prix incarner Xi Jinping : la Chine, grande puissance remettant en cause l'ordre international tel que les États-Unis et les Occidentaux l'ont mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale", analyse Christine Ockrent.
Mais c'est avant tout sur le terrain technologique que se joue la rivalité avec les États-Unis. "La manière dont le parti communiste chinois met la main sur les grands groupes de la technologie chinoise, dit-elle, tout cela est fait pour rivaliser davantage, et si possible l'emporter, dans la course à l'intelligence artificielle, aux ordinateurs quantiques et à tout ce qui concerne véritablement les semi-conducteurs." Les États-Unis ont récemment convaincu le Japon et les Pays-Bas d'emboîter le pas à leur politique de restriction des exportations aux entreprises chinoises, de matériels nécessaires à la production de semi-conducteurs.
Établir un parallèle entre oligarques russes et milliardaires chinois peut être tentant. La comparaison est pourtant paresseuse. "Les oligarques russes ont profité de l'écroulement de l'Union soviétique alors que précisément, en Chine, c'est l'obsession de cet écroulement qui habite Xi Jinping. C'est-à-dire que son cauchemar absolu, c'est la décomposition du parti communiste soviétique qui a permis l'émergence des oligarques de la première génération", explique l'ex-présentatrice du Journal de 20 heures d'Antenne 2.
Il y a entre le pouvoir de Xi Jinping et cette génération d'industriels de la tech non pas un jeu, mais une relation de plus en plus contrôlée
"En Chine, au contraire, le pouvoir a toujours tenu sous contrôle ces géants de la technologie", observe-t-elle. "Jack Ma [fondateur d'Alibaba, disparu des radars fin 2020 sur fond de reprise en main du pouvoir chinois, ndlr] vit maintenant à Tokyo, il a perdu le pouvoir sur son groupe." Autre exemple, "l'homme qui a créé le groupe ByteDance [développeur de l'application TikTok, ndlr] a décidé qu'il était temps de réfléchir, qu'au fond il était un grand timide et qu'il valait mieux se mettre à l'abri", ironise Christine Ockrent. "Donc il y a entre le pouvoir de Xi Jinping et cette génération d'industriels de la tech non pas un jeu, mais une relation de plus en plus contrôlée, et c'est tout l'enjeu, je crois, de cette course au progrès technologique que veut gagner à tout prix Xi Jinping".
* Christine Ockrent, "L'Empereur et les milliardaires rouges", éd. L'Observatoire, 240 p., 22 euros.
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