La dédiabolisation du Rassemblement national, n’est-elle qu’une façade ? La campagne législative éclair en France met à mal la stratégie de normalisation du RN, car l’extrême droite a du mal à présenter 557 candidats ayant lissé leurs images. Entretien avec Erwan Lecoeur, politologue et sociologue spécialiste de l'extrême droite.
La campagne est éclair, mais le chemin peut paraître long pour certains cadres RN. Chaque jour qui les sépare du second tour des élections législatives est un risque de plus de voir l'un de leurs poulains déraper ou d'assister impuissant à l'excavation de vieux dossiers compromettants. Plusieurs candidats du Rassemblement national sont mis en cause pour divers dérapages. Deux plaintes ont été déposées contre les candidats RN de l’Aisne et du Haut-Rhin, respectivement, pour “injures à caractère racial” et “contestation de crime contre l’humanité”.
Durant la dernière ligne droite vers le second tour, la candidate du Calvados a dû quitter la course après la publication d'une photo d’elle avec une casquette nazie. Celle des Côtes-d’Armor a dû supprimer son compte Facebook après avoir rendu hommage à Philippe Pétain. S'agit-il de cas isolés comme tentent de l'affirme les cadres du Rassemblement national ou bien est-ce un révélateur d'une tendance plus profonde ? Éléments de réponses avec Erwan Lecoeur, politologue et sociologue spécialiste de l'extrême droite.
Erwan Lecoeur : Il y a clairement un problème au sein du Rassemblement national qui est double. D'abord, il est vrai que les cadres du parti ont fortement modifié la structure, la présentation, ce qu'on a appelé la normalisation ou la dédiabolisation de l'ancien Front national. Cela s'est fait au niveau des cadres assez fortement ces dix ou quinze dernières années, sans aucun doute. Et Jordan Bardella est l'un des exemples de cette normalisation. Il apparaît comme un jeune homme bien propre sous tout rapport, même si derrière lui, il y a toujours un certain nombre de groupuscules qui sont beaucoup plus radicaux et qui continuent à œuvrer dans l'ombre.
Chez les militants de terrain et chez les cadres intermédiaires du RN, il n'y a pas eu le même travail de normalisation
De plus, il y a eu un problème au niveau des simples militants. Lors de ces législatives, on s'aperçoit que chez les militants de terrain, chez les cadres intermédiaires qui parfois sont là depuis longtemps, il n'y a pas eu le même travail de normalisation, de remise à niveau au niveau sémantique, au niveau de la dialectique, de la façon de parler, de se présenter, de ce qu'il ne faut pas faire et de ce qu'il faut faire.
Ce travail sur la sémantique a commencé dans les années 90. Le Rassemblement national d'aujourd'hui n'était pas prêt à présenter réellement 577 candidats et candidates d'un seul coup, aussi vite aussi, C'est un parti qui se préparait pendant quelques années, mais qui avait encore un travail de nettoyage interne à faire.
Oui, bien sûr. Ils ont été pris de court comme toutes les forces politiques. La différence c'est que le Rassemblement national n'a jamais été un parti qui espérait arriver au pouvoir par les législatives. Pour eux, l'idéal était d'arriver au pouvoir, au détour d'une crise, par les présidentielles. Ils visaient plutôt 2027. Dans cette optique, ils avaient encore deux ou trois ans pour se préparer.
Sauf qu'aujourd'hui, ce vieux parti n'a pas enlevé toutes les différentes couches de militants qui sont parfois là depuis les années 70. Il y a encore d'anciens militants et certains plus récents, qui sont encore dans la culture d'opposition très radicale, la culture un peu raciste, anti-immigration, voire même nostalgique de la période nazie et de l'occupation.
Est-ce que cette normalisation des militants repose simplement sur une formation sémantique ou sur un changement culturel plus profond ?
Il y a les deux. Le changement culturel qui a été opéré au fil du temps, c'est qu'on est passé du lepénisme façon Jean-Marie Le Pen, qui était clairement dans la provocation permanente en termes médiatiques, parce que c'était sa méthode, à, dans les années 90, avec Bruno Maigret, une stratégie de normalisation, d'euphémisation du discours.
Cette stratégie a été ensuite reprise par Marine Le Pen et ses conseillers, jusqu'à l'arrivée de Jordan Bardella, qui est exactement l'emblème de cela, d'une euphémisation d'un certain nombre de discours, d'une capacité extraordinaire en termes de communication, à parler de choses assez vagues, à ne jamais rentrer trop dans le détail et surtout à ne jamais dire de choses qui pourraient choquer l'opinion publique trop fortement.
Il y a toujours au sein du Rassemblement national des gens qui sont très nettement d'extrême droite et qui sont là depuis longtemps. Il y aussi de nouveaux arrivants qui sont très identitaires et très à l'extrême droite, autour de Jordan Bardella, notamment. Mais ces gens ont appris à parler beaucoup plus correctement pour les médias, pour le grand public et cela n'est pas le cas de tous les militants du Rassemblement national.
Un certain nombre de candidates et de candidats, voyant la victoire arriver, se sont peut-être dit que tout était possible et ont dépassé les bornes. Cela oblige Marine Le Pen et Jordan Bardella à prendre des sanctions immédiates parce que c'est exactement l'inverse de leur stratégie de dédiabolisation.
Pour Jordan Bardella et Marine Le Pen, il ne faut pas que la parole et les actes se libèrent avant l'élection
On voit cela depuis maintenant quelques mois, quelques années, au sein des groupuscules qui entourent le Rassemblement national et qui forment cette grande galaxie des extrêmes droites. Il y a, au sein des groupuscules, des gens qui désormais considèrent que, la victoire étant quasiment acquise, les choses vont pouvoir être beaucoup plus libres et donc peut-être plus radicales.
On peut s'attendre à un certain nombre de personnes qui vont laisser libre cours à leur penchant un peu plus raciste, xénophobe ou autre. Et ça, c'est quelque chose que l'on voit à la fois circuler sur les réseaux sociaux, énormément, mais aussi dans la façon dont ces personnes se comportent à l'égard de certains journalistes issus de l'immigration, de certaines personnes en vue dans tous les domaines.
Pour Jordan Bardella et Marine Le Pen, il ne faut pas que cette parole et ces actes se libèrent avant l'élection. Et même après l'élection, s'ils veulent apparaître comme un pouvoir normal, capable, raisonnable et sérieux, il faudra qu'ils fassent très attention à ce que leurs soutiens, leurs supporters, ne se lâchent pas trop fort et trop vite.
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