Deux-Sèvres
Jeudi 6 février, quatre représentants des boulangers ruraux ont pu s'entretenir avec le cabinet ministériel de Véronique Louwagie, ministre déléguée de l'artisanat. L'objectif était de faire remonter les difficultés de la profession. Parmi les personnes présentes, il y avait David Fèvre, le boulanger de la commune de Le Tallud dans les Deux-Sèvres.
David Fèvre est boulanger dans la commune de Le Tallud, à côté de Parthenay dans les Deux-Sèvres. Il est aussi président international de « Boulanger sans frontières », qui vient en aide aux boulangeries et aux boulangers des pays de l’Afrique de l'Ouest. Il est également élu à la Chambre des métiers et de l'artisanat en Nouvelle-Aquitaine. David Fèvre est aussi très présent sur les réseaux sociaux. Sa page Facebook est suivie par près de 50 000 personnes. C'est d'ailleurs sur les réseaux que tout est parti puisqu’il a publié un sondage pour connaître les difficultés des boulangers ruraux. En 24 heures, 3 200 professionnels ont répondu et deux semaines plus tard, une réunion avec le cabinet ministériel est organisée.
RCF : Comment est venue cette idée de publier un sondage ?
David Fèvre : Je suis ami avec Amandio Pimenta qui est meilleur ouvrier de France. Il a l'habitude sur les réseaux sociaux de faire des grands textes. Je me suis permis de lui dire, « Amandio, tu sais, les textes comme ça, les boulangers n'ont pas le temps de lire. »
J'ai pensé à faire un sondage sur les réseaux sociaux. En accord avec Amandio, on a mis plusieurs sujets : le recrutement, la rentabilité, l'augmentation des prix des matières premières, etc.
Et les gens rajoutaient en disant fatigués mentalement, fatigués psychologiquement, plus de vie, il y a eu plein de choses qui ont été mises. Je me suis dit, c'est un signe qu'on est dans le Titanic et que ça coule et personne ne réagit. J’ai aussi reçu un lien d'une pétition qui a été mise en ligne et qui a plus de 1 200 signatures.
J'ai demandé à ce que les gens nous apportent un témoignage de leur situation. On va mettre dans le dossier de la ministre 20 lettres, les plus pertinentes. Ce sont souvent les mêmes sujets : de bonnes marges, mais pas de rentabilité dans l'entreprise à cause de toutes ces taxes, des augmentations de salaire, des matières premières.
RCF : Pourquoi vous n'avez pas fait le choix d’augmenter vos prix de vente ?
Augmenter, c'est encore le consommateur qui va payer. Moi, ce que je propose, c'est que tous les produits de l'industrie, ceux-là, qu'on les taxe à 20, 25, 30 %. Et puis celui qui fabrique, qui fait vivre le circuit court, qui fait travailler l'économie locale, qui forme des apprentis, qui crée de l'emploi, de la richesse dans son territoire, on lui baisse la TVA.
[...] Moi, l'année dernière, on a pris une calotte, on a perdu 50 000 euros de chiffre d'affaires à cause des augmentations de matières premières. On vendait des brioches dans sept, huit départements autour. Quand on a dit à nos clients, « on augmente le prix de la brioche », c'est presque un euro de plus, ils nous ont dit : « on ne prend plus ». Donc, aujourd'hui, il ne vaut mieux pas les faire, et ne pas perdre d'argent. Mais c'est quand même triste. Il y a des clients qui aiment notre produit, mais ils s'en sont privés.
RCF : Il y a aussi une souffrance mentale. Comment est-il possible d'agir sur cet aspect-là ?
Pour un artisan, il faudrait lui mettre tous les numéros en cas de problème, qu'il n'ait pas à chercher, qu'il ait une feuille et qu'elle soit remise par le gouvernement comme pour les salariés. Les salariés, on leur dit, la médecine du travail, l'inspection du travail, pour les artisans, un numéro à la Banque de France, des numéros pour réagir vite. Et surtout, ce qu'il faut dire aux artisans, c'est que quand ils voient qu'ils ont des difficultés, il faut réagir vite. Il ne faut pas laisser pourrir la situation.
RCF : Vous avez parlé du fait que certains avaient du mal à recruter. Est-ce qu'il y a un manque d'intérêt pour la profession ?
Il y a sûrement eu aussi, il ne faut pas se le cacher, de l'abus dans des entreprises d'autrefois où les gens n'étaient pas respectés. Aujourd'hui, ça change. La boulangerie, ce n'est plus ce que c'était. Moi, j'ai des apprentis qui embauchent à 6h le matin. Les méthodes ont changé. Il y a du matériel moderne. On travaille avec des chambres de fermentation. Les sacs de farine sont moins lourds. Il y a beaucoup de filles qui sont intéressées par le métier.
RCF : Comment vous expliquez que le gouvernement n'avait pas forcément connaissance de ces difficultés ?
On ne leur montre pas la réalité. Ceux qui nous représentent à Paris, ils ne sont plus dans les territoires. Les remontées de terrain, c'est important.
Je pense qu'on a tous un rôle. On n'a pas besoin d'être élu. Je vois que je peux défendre ici depuis ma boulangerie. C'est ce que j'ai montré aux gens en disant « Envoyez des lettres, ça sera votre participation ». Mais les lettres sont très touchantes. Franchement, le député m'a dit « Je t'ai senti ému dans ta parole ». J'ai dit « Oui, parce que je me suis vu dedans ».
En décembre, je n'ai pas pris de paye. On est tous, pratiquement, à découvert. Découvert dit frais bancaires. Ça, j'ai dit à la ministre ce matin [jeudi 6 février], « Les banques, elles ne pourraient pas faire un effort ? » Au lieu d'enfoncer un peu plus l'entreprise. Après, ce qu'on a voulu faire savoir aussi, c'est qu'il y a des dispositifs d'aide qui sont méconnus.
RCF : Pourquoi ces difficultés principalement au niveau de la ruralité ?
La ruralité, ça a toujours été difficile. Quand il y a eu le Covid, tout le monde voulait venir vivre à la campagne. Aujourd'hui, il y a des endroits qui sont un peu désertiques. J'ai reçu des messages des boulangers de la Creuse. La ruralité, ça reste compliqué. Après, je suis convaincu que la qualité des clients la reconnaît. Après, il faut que le consommateur regagne en pouvoir d'achat. Parce que, bien sûr, si les gens ont moins d'argent, ils vont acheter moins chez un artisan qui est un peu plus cher.
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