Ce mardi 16 novembre, la Conférence des évêques de France (CEF) a publié le communiqué de Mgr Jean-Pierre Grallet dans lequel l'archevêque émérite de Strasbourg avouait "des gestes déplacés envers une jeune femme majeure". Une révélation qui fait suite aux aveux de Mgr Ricard. 11 évêques français qui ont été mis en cause pour violences sexuelles ou non-dénonciation d’actes "déviants". L’image de l’Église de France est ternie par cette succession de révélations et a l’effet d’une onde de choc, tant chez les clercs que chez les laïcs. Ces dénonciations mettent en lumière les dysfonctionnements de l’institution, et permettent de dresser un constat un an après le rapport de la Ciase.
"Je suis complètement sonné ", confie Mgr François Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne et président du conseil pour la communication de la CEF. C’est pendant qu’ils travaillaient sur l’affaire Santier que Mgr Touvet et ses confrères ont appris la dénonciation de Ricard. "Ça nous a frappé comme la foudre. Je comprends la colère et l’incompréhension, je les partage et les exprime." Le premier ressenti est pour beaucoup le choc. Suivi parfois d’une forme de résilience : "ce n’est pas surprenant". Marie-Jo Thiel, théologienne, médecin et professeure d’éthique, estime en effet que les révélations d’abus ne sont pas terminées. "Les évêques ne sont pas infaillibles" : après la réflexion viendra l’action, "il faut tirer la pelote de laine pour que tous les coupables soient dénoncés".
Marie-Jo Thiel revient sur la séparation des pouvoirs au niveau épiscopal : "Je pense qu’il faudra essayer d’harmoniser cet ensemble." La formation reçue par les évêques est elle aussi mise en question : d’ordinaire, les "baby bishops" - "bébé évêques" - suivent une formation de 48 heures à Rome, censée les guider pour tout leur épiscopat. "La non-formation est catastrophique", souligne Monseigneur Touvet. Il se réjouit de pouvoir compter sur l’expertise de nombreuses personnes spécialisées parmi les laïcs. Les sanctions, quelles qu’elles soient, doivent être appliquées pour lutter contre de potentielles récidives. C’est un grand chantier qui attend l’Église dans les années à venir.
Alix Huon est membre du collectif Agir pour notre Église. Composé principalement de laïcs, il œuvre à faire de l'Église une maison sûre. "On compte parmi nous des catholiques de tous bords, et on veut permettre la réception de ce rapport chez l’ensemble des fidèles", explique-t-elle. Si le problème des abus est systémique, il est important que les laïcs puissent "mieux comprendre et mieux prévenir". Pour les intervenants, l'Église doit abolir cette culture du silence. Agir pour notre Église a ainsi publié une tribune s'intitulant "Frères évêques, laissez-nous vous aider". Le rôle des laïcs et l’idée que l’ensemble du corps ecclésial est une victime collatérale comptent parmi les points abordés.
Cette crise de conscience est légitimée par le caractère scandaleux des agressions, de l’instrumentalisation des sacrements à l’agression d’une mineure de 14 ans. Alix Huon rappelle que dans la majorité des cas, les agressions se font au sein d'une relation de grande proximité. "C’est souvent un prêtre qui connaît bien la famille, qui incarne une figure de confiance". Marie-Jo Thiel souligne que des groupes de travail ont été mis en place pour aider les laïcs à reconstruire leur Église. "La justice humaine précède la justice divine", explique-t-elle. Il est par ailleurs crucial d’accompagner les évêques coupables : "si on ne le fait pas, on risque des récidives".
"Il faut donner les clés aux fidèles eux-mêmes", estime la représentante d’Agir pour notre Église. À tout problème systémique sa réponse systémique. Les fidèles doivent et peuvent être responsabilisés, en apprenant par exemple à détecter les signaux d’alerte. Le rôle des prêtres reste crucial pour garder la confiance et faire de ce dialogue un dialogue transparent. En parler au quotidien, dans les paroisses, est une nécessité. "On a tous hâte de sortir de cette crise, mais il faut d’abord prendre conscience et en parler", insiste Marie-Jo Thiel. Pour que chacun puisse agir à son échelle, elle estime qu’il faut désinfantiliser les fidèles et mener des moyens d’action concrets. "Nous sommes tous l'Église", rappelle Mgr Touvet. Pour lui comme pour beaucoup, il n’y a que par le dialogue, l’écoute et la formation en commun que la confiance pourra être retrouvée.
"Le Christ reste dans la barque", souligne Marie-Jo Thiel. Si les récentes révélations peuvent ébranler la foi des fidèles, la distinction avec l’institution doit être faite. "La structure est certes importante mais n’est-ce pas l’Évangile qui nous accule à suivre le Christ ?", questionne-t-elle. Pour traverser cette crise et mener le travail à bien, le tandem entre fidèles et clercs occupe toute son importance. Cela peut notamment se faire grâce à des groupes de travail qui conseillent les évêques. Dans chaque paroisse, il faut sortir de "cette phase de sidération pour être pro-actif ", insiste Mgr Touvet.
Les agresseurs ont besoin d’un accompagnement "miséricordieux, transparent et exigent". La démarche des laïcs est saluée et accueillie chez les évêques. C’est un travail de longue haleine : "tout ne se fait pas en un clin d’œil". Il est important de souligner à cet égard que ce sont d’abord les médias chrétiens qui ont dénoncé les accusations, symbole que l’action doit "venir d’en bas". "Il ne faut pas laisser un évêque seul porter un tel poids, et nous devons lutter contre l’entre-soi qui peut régner entre les évêques", insiste Monseigneur Touvet. Un même homme ne peut pas cumuler toutes les charges. L’une des forces du rapport de la Ciase a d’ailleurs été de s’être appuyé sur la société civile.
Marie-Jo Thiel met en lumière les abus de pouvoir qui peuvent exister au sein d’une institution comme l'Église. Ils doivent également être pris en compte : "Avant tout abus sexuel il y a d’autres abus, spirituels ou psychologiques." Pour soigner ces abus, les laïcs doivent pouvoir trouver une oreille attentive. Et Mgr Touvet ajoute qu'il "faut que ça devienne aussi absurde de vouloir commettre un abus dans l'Église que d’aller à l’aéroport avec une bombe dans son sac".
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
Intervenez en direct au 04 72 38 20 23, dans le groupe Facebook Je pense donc j'agis ou écrivez à direct@rcf.fr
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !