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Les frères Philippe, une "tragédie" chez les dominicains

Un article rédigé par Étienne Pépin, Odile Riffaud - RCF, le 31 janvier 2023 - Modifié le 29 octobre 2024

Comment expliquer que Thomas et son frère Marie-Dominique Philippe ont pu exercer une telle influence pendant plusieurs années malgré les condamnations prise par Rome à leur encontre ? C'est pour répondre à cette question que l'ordre des dominicains a commandé un rapport. Afin de faire la lumière sur "une tragédie", selon les mots du supérieur des dominicains en France, Frère Nicolas Tixier.

Thomas Philippe à l'Eau Vive vers 1950 ©Wikimédia commonsThomas Philippe à l'Eau Vive vers 1950 ©Wikimédia commons

Le jour où L’Arche Internationale a dévoilé le rapport de sa commission d’étude sur ses fondateurs Jean Vanier et Thomas Philippe, les éditions du Cerf annonçaient la publication d'un autre rapport. Un texte de 700 pages commandé par les dominicains à l’historien Tangi Cavalin sur les liens entre leur ordre et les frères Philippe. Thomas (1905-1993) et Marie-Dominique (1912-2006) sont tous deux entrés chez les dominicains respectivement en 1923 et 1930. Leur trajectoire présente un fait marquant : malgré les condamnations par Rome, l'un et l'autre ont pu continuer d'exercer pendant de nombreuses années leur influence au sein de l'Église.

L’impunité des frères Philippe

Il semble que l’influence de Thomas Dehau, l’oncle maternel des frères Philippe et lui-même dominicain, a posé assez rapidement des questions d’obéissance au sein de l'ordre. L’historien Étienne Fouilloux écrit : "Thomas et ses trois frères, qui entrent [chez les dominicains] à sa suite… vouent au père Dehau une obéissance filiale qui peut nuire à l’autorité de leurs supérieurs". Devenu enseignant et recteur du couvent du Saulchoir, Thomas Philippe a fondé le centre spirituel de l’Eau Vive en 1945, auquel il s’est consacré entièrement à partir de 1948. La communauté de l’Eau Vive était "un petit centre entre la communauté religieuse, l’auberge de jeunesse chrétienne le collège universitaire à l’américaine qui propose une initiation à la théologie et à la philosophie", décrit l’historien Antoine Mourges, l'un des auteurs du rapport de L'Arche. Ce centre était fréquenté par des religieux et des laïcs, hommes et femmes.

 

→ À LIRE : Jean Vanier : sous l’emprise de Thomas Philippe

 

C’est dès 1952 que Thomas Philippe a été convoqué à Rome à la suite de plaintes de deux femmes qu’il accompagnait spirituellement. Le rapport de L’Arche note "la relative inaction du Saint-Office et de l’ordre dominicain sur ce dossier entre juin 1952 et octobre 1955". Ce même rapport précise que "Thomas Philippe avait depuis 1952 l’interdiction de communiquer avec les membres de l’Eau vive" mais qu’il "[a continué] d’influencer Jean Vanier, depuis les différents lieux où il [était] mis au secret, par le biais d’échanges épistolaires soutenus et de rencontres directes". Ce n’est qu’en 1956 que Thomas Philippe a été condamné par le Saint-Office. S’il n’a pas été renvoyé de l’état clérical, il s’est vu interdit de célébrer les sacrements et d’occuper un ministère au sein de l’Église. Et c'est en 1964 qu'il a fondé avec Jean Vanier, la communauté de L'Arche. Comment Thomas Philippe a-t-il pu exercer son influence malgré les condamnations qui pesaient sur lui ?

Notons que son frère Marie-Dominique Philippe, le fondateur, en 1975, de la communauté des frères de Saint-Jean, été condamné en 1957 par le Saint-Office - sanctions qui ont été levées en 1959. "Le motif de la condamnation était essentiellement sa direction spirituelle faussée, dans laquelle il avait couvert les abus sexuels de son frère le p. Thomas Philippe, précise le service communication de la communauté, il ne pouvait plus confesser, ni exercer une quelconque direction spirituelle, ni prêcher ou enseigner la spiritualité. Cette peine était à durée indéterminée." La communauté Saint-Jean précise également que c'est "le maître de l'ordre dominicain" qui "a obtenu du Saint-Office que les sanctions à l'égard de Marie-Dominique Philippe soient levées". Et que si, "en 1957 le Saint-Office avait des soupçons" sur les "mœurs déviées" de Marie-Dominique Philippe, "les éléments n'étaient pas assez probants pour en faire un motif de condamnation". Au sujet de la communauté Saint-Jean, un troisième rapport d'enquête, après ceux de L'Arche et celui des dominicains, est attendu.

 

Les frères Philippe étaient très forts pour manipuler ces institutions et les neutraliser

 

Le silence de l'institution a rendu les sanctions inefficaces

"L’Affaire - Les dominicains face au scandale des frères Philippe", c’est le titre du rapport commandé par les dominicains sur les frères Philippe (en librairie le 1er février ; les Éditions du Cerf ont annoncé sur Twitter : "Les droits d'auteur et les éventuels bénéfices du livre seront entièrement reversés à une association d'aide aux victimes.") "Outre la tragédie, parce que c’en est une je crois, c’est que ce que ce rapport montre, c’est malheureusement la défaillance de l’institution qui, à tous les niveaux, s’est révélée absolument incapable de réguler ces frères et d’empêcher leurs agissements", reconnaît frère Nicolas Tixier, l’actuel Provincial de France des dominicains.

 

Journal RCFFrère Nicolas Tixier revient sur la "tragédie" des frères Philippe

Selon Nicolas Tixier, "l’institution n’a pas pu jouer son rôle" et a été "manipulée" par les frères Philippe. "Les frères Philippe, qui connaissaient extrêmement bien le fonctionnement des institutions je crois étaient très forts pour manipuler ces institutions et les neutraliser." L’habileté des frères Philippe conjuguée au silence qui entoure généralement les sanctions dans l’Église, tout cela a contribué à l’inefficacité des sanctions prises à l’égard des frères Philippe. "Certains savaient, admet Frère Nicolas Tixier, mais en agissant sur différents registres de pouvoir, l’institution s’est révélée inefficace."

 

→ À LIRE : Jean Vanier : pourquoi L'Arche a commandé une enquête

 

L'aveuglement de l'Église

Au sein des dominicains, qui était au faîte des sanctions prises par le Vatican à l'encontre des frères Philippe ? Il y a eu  vraisemblablement des lacunes dans la transmission des dossiers, estime Frère Nicolas Tixier. "On perd au fur et à mesure de l’histoire, la conscience de la gravité des faits du départ. C’est pourquoi on arrive à une sorte d’accumulations de non décisions ou de mauvaises décisions qui à la fin, accumulées, produisent une tragédie."

 

L’Église a été fascinée par ce qui marchait, a été fascinée par le succès, par des lieux qui se sont révélés fructueux, qui donnaient lieu à de nombreuses vocations…

 

En cause également, l’aura des frères Philippe qui leur a permis d’attirer à eux de nombreuses personnes. "Les faits reprochés aujourd’hui aux frères Philippe ont toujours été couverts par les apparences d’une stricte orthodoxie, la construction de puissants réseaux de soutien et un indéniable dynamisme apostolique qui ont suscité la fascination", avance Tangi Cavalin, l’auteur du rapport "L’Affaire. Les dominicains face au scandale des frères Philippe" dans La Croix. Pour Nicolas Tixier, en effet, "l’Église a été fascinée par ce qui marchait, a été fascinée par le succès, par des lieux qui se sont révélés fructueux, qui donnaient lieu à de nombreuses vocations…"

 

Journal RCFFrère Nicolas Tixier : "l'Église a été fascinée par le succès" des frères Philippe

Pour le Provincial des dominicains, le rapport est aussi bien "un travail de vérité sur le passé" qu’une "feuille de route pour l’avenir". "Jamais, je crois, la vertu de prudence ne doit être relâchée. Il nous faut toujours être prudents et attentifs et l’institution doit exercer son rôle de vigilance."

 

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