Retour sur les liens entre la colère des agriculteurs et l'Union Européenne.
L’Union européenne est la première puissance agricole mondiale. En 2023, la production agricole des 27 pays de l'Union européenne a atteint une valeur de 552 milliards d'euros. La France est le 1er producteur agricole de l’UE avec près de 98 milliards d'euros, suivie d’assez loin par l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, formant ensemble la moitié de la production totale de l'UE. Un tableau plutôt positif, d'autant plus que l'année précédente, en 2022, la balance commerciale agricole de l'Union était excédentaire, la France y contribuant à hauteur de 10,3 milliards d'euros.
Mais replongeons un peu dans le passé, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. L'Europe, en quête de reconstruction et d'indépendance alimentaire, élabore la Politique Agricole Commune en 1962. L'objectif principal est d’atteindre rapidement l'autosuffisance alimentaire. Pour y parvenir, l'Union européenne met en place divers outils incitatifs, dont le système de "prix garantis". Les agriculteurs peuvent ainsi vendre leur production à un prix fixe, même en période de baisse des prix. Les instances communautaires, quant à elles, s'occupent d'acheter, de revendre, de stocker, de transformer, voire de détruire certains produits selon les fluctuations du marché.
Ce modèle productiviste a cependant engendré assez rapidement des effets indésirables. Dès les années 70, l'offre dépasse la demande pour de nombreux produits, entraînant un recours massif au stockage, une pratique coûteuse. Lorsque l'UE exporte ses produits agricoles sur le marché mondial, elle les cède au prix mondial, souvent inférieur à celui pratiqué en Europe, altérant ainsi la rentabilité du secteur.
Au fil de multiples révisions, la Politique Agricole Commune (la PAC) a subi des transformations majeures, au point que le système actuel diffère considérablement de sa version initiale. Désormais, les agriculteurs bénéficient directement d'aides financières, basées sur la surface de leurs exploitations ou le nombre de leurs animaux, à condition qu'ils respectent des pratiques environnementales spécifiques. De plus, un budget dédié soutient le "développement rural"
Une des mesures phares de la dernière réforme de la PAC mis en place le 1er janvier 2023 est l'introduction des "écorégimes". Ce sont des primes versées aux exploitants qui s'engagent volontairement dans des programmes environnementaux exigeants.
Autre innovation notable : chaque État membre élabore désormais un plan stratégique sur 5 ans, qu'il soumet à la Commission européenne. Ce plan définit les besoins prioritaires de l'État et la manière dont il entend répondre aux objectifs de la Politique Agricole Commune et aux objectifs environnementaux. Cette réforme a suscité des critiques, certains la percevant comme une tentative de renationaliser la Politique Agricole européenne.
Aussi célèbre que décriée, la politique agricole commune est encore aujourd’hui le 1er poste de dépense de l’Union européenne, environ 1/3 du budget annuel de l’Union européenne. 58,3 milliards d'euros ont ainsi été versés sous forme d’aide pour les agriculteurs et pour le développement rural dans les 27 Etats membres, la France étant le premier bénéficiaire avec 9,5 milliards. Les subventions de la PAC en France représentent en moyenne 23670 € en 2021 pour 312000 exploitations agricoles. Mais attention, c’est une moyenne qui ne permet pas de déterminer les disparités des aides attribuées par bénéficiaires.
L'agriculture a subi de plein fouet les répercussions de la guerre d’agression de la Russie et l'Ukraine, marquée par une inflation, une crise énergétique, et l'ouverture du marché intérieur européen aux produits agricoles ukrainiens, contribuant ainsi à fragiliser un secteur déjà sous tension. Ces facteurs, combinés à des événements climatiques, ont entraîné une baisse du revenu agricole et accru la volatilité des prix.
Dans ce contexte, une partie de la colère s'est tournée vers l'Union européenne, notamment en raison des tracasseries administratives et des retards de paiement de la Politique Agricole Commune, mais surtout en opposition aux nouvelles normes du pacte vert. Le pacte vert, rappelons-le, est la feuille de route environnementale de l’Union européenne visant à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Des mesures telles que la fin de la vente des voitures thermiques neuves d'ici 2035, la taxe carbone aux frontières, et le développement des énergies renouvelables sont toutes liées à ce pacte. Selon les dernières données d'Eurostat, l'agriculture représente 10,7 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE, atteignant 15,6 % en France, où ce secteur est particulièrement important. Ainsi, le Pacte Vert vise à orienter et accompagner l'agriculture vers une transition environnementale pour préserver la biodiversité et assurer la sécurité alimentaire.
Nombre d'agriculteurs voient ces nouvelles normes comme de l’écologie punitive, bien que bon nombre d'entre elles n'ont pas encore été mises en œuvre, et que plusieurs ont été assouplies au cours des négociations, notamment celles concernant la réduction des pesticides, la préservation de la biodiversité, et le bien-être animal.
Selon un sondage CSA Cnews, 39 % des Français estiment que l'Europe est le principal responsable de la crise agricole. Le risque est que l'Union européenne devienne le bouc émissaire et que cela ait des répercussions sur le vote lors des élections européennes de juin. Ce qui pourrait une nouvelle fois aller à l’encontre de la lutte contre le réchauffement climatique.
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