Olivier Dubois a retrouvé mardi la France et les siens. Captif durant presque deux ans au Mali, le journaliste avait été enlevé en 2021 par la branche sahélienne d'Al-Qaïda. La libération des otages fait l'objet de négociations aussi actives que secrètes entre États et groupes armés. Enlèvement, discussions, versement d'une rançon : décodage d'un processus délicat et nimbé de mystères.
"Dans ces négociations, très longues, on a identifié deux canaux principaux", expose Étienne Dignat, chercheur associé au Centre de recherches internationales (CERI, Sciences-Po) et auteur d'un essai sur le ténébreux sujet des prises d'otages*. "Un premier canal malien, qui s'est développé durant plus d'un an par plusieurs intermédiaires, notamment un intermédiaire touareg ; puis ensuite, à mesure que les relations se détérioraient entre la France et le Mali, un deuxième canal, nigérien, s'est développé. À ce moment-là, on suppose que c'est le pouvoir au Niger qui a pris la main pour la libération d'Olivier Dubois", détaille-t-il.
Difficile de percer à jour la nature des tractations, tant elles sont menées dans une discrétion absolue. "Vous discutez avec des gens, vous avez des témoignages, des gens qui parlent en France, au Niger, au Mali, et peu à peu on arrive à recouper les canaux existants", glisse l'enseignant.
Malgré les dénégations fréquentes de responsables politiques, le versement de rançons, passage obligé de la libération des otages, est un secret de polichinelle dont nul n'est dupe. "Un ancien ministre de la Défense que j'ai interrogé dit : l'État ment sans y croire et sans que l'opinion publique y croie'" En France, on est assez lucides sur cette question-là, on sait qu'il y a des rançons régulières", sourit Étienne Dignat. "Le prix dépend de la zone, de la nationalité de l'otage, de ses caractéristiques", explique-t-il, prenant exemple de ces guérilleros colombiens qui sévirent longtemps au pays de Bolivar : "On sait que les FARC, en Colombie, avaient littéralement un logiciel, dans lequel ils inscrivaient des paramètres de l'otage qui les amenaient à fixer un prix."
"Il y a deux grands groupes de pays occidentaux", distingue-t-il. D'une part, "un premier groupe, composé par des pays d'Europe continentale tels que la France, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, plutôt enclins à payer car ils font de la survie de l'otage une priorité". D'autre part, "une autre politique, celles des Américains et des Britanniques, qui est une politique de fermeté motivée par une position de principe consistant à refuser de négocier avec des terroristes, ou par la crainte que le paiement de rançons incite de nouveaux enlèvements et renforce ces groupes".
"Les communautés chrétiennes ont une très forte et très longue tradition de secours des captifs remontant aux premiers chrétiens, qui se sont construits face à un État romain païen oppressif qui ne se mobilisait pas pour pour secourir les chrétiens quand ils étaient rançonnés", retrace Étienne Dignat. "Au début du début du XIIe, XIIIe siècle, des ordres religieux se mobilisaient pour racheter les chrétiens notamment aux mains des pirates".
En 2021, le pape François avait accueilli une religieuse colombienne enlevée quatre ans plus tôt dans l'exercice de sa mission. Le docteur en science politique y voit la continuation de l'héritage chrétien précédemment évoqué. "Le Vatican a des réseaux diplomatiques très importants, c'est l'un des États qui peut quasiment se rendre sur toutes les zones, parce qu'il a cette position de neutralité qui lui permet de pouvoir négocier." Et le cas échéant, de verser des rançons ?
* Étienne Dignat, "La rançon de la terreur - Gouverner le marché des otages", éd. PUF, 2023, 448 p., 23 euros
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