L’Inde, première puissance démographique mondiale : et alors ?

1,417 milliard d’Indiens. C’est désormais plus que les 1,412 milliard de Chinois. Les chiffres donnent le tournis, mais ils sont bien le fruit de l’estimation onusienne qui prévoyait un dépassement de population pour la mi-avril. Malgré un taux de fécondité en net baisse par rapport aux années 1960, l’Inde apparaît comme une force géopolitique à l’échelle internationale. 

 

En moyenne, 2,05 enfants par femme

 

L’Inde comptait un milliard d’habitants en moins en 1950. Pourtant, ce n’est pas le taux de fécondité de 2,05 enfants par femme indienne qui explique à court terme cette population en hausse de 1 % par an. Le nombre de naissances par Indienne est, à ce titre, à peine mieux que les Françaises qui enregistrent 1,83 enfant. 

 

Cette hausse de population doit être expliquée par une population indienne particulièrement jeune. 2/3 des personnes habitant en Inde ont moins de 35 ans.  “La population indienne comprend une grande proportion de jeunes adultes en âge d’avoir des enfants”’, justifie le démographe Gilles Pison. 

 

Derrière ces chiffres, des enjeux économiques et sociaux

 

Près d’1,5 milliard d’habitants, c’est autant de gens qu’il faut nourrir, loger, employer. Pour cela, la carte économique et sociale de l'Inde est très inégalitaire. René Valette, professeur émérite à l’Université catholique de Lyon tempère cependant, “L’Inde est aussi un pays dont l'économie se porte pas mal. Elle va devenir assez rapidement la troisième puissance économique du monde derrière les Etats-Unis et la Chine”. 

Pourtant, cela ne fait pas de l'Inde un pays totalement prêt à relever les immenses défis qui l'attendent. De nombreuses disparités territoriales sont constatées fragilisant l’équilibre interne de la nouvelle première puissance démographique mondiale. 

 

Des disparités territoriales

 

L’Inde est un pays fédéral à deux vitesses. Actuellement, des inégalités se jouent entre des États au développement avancé, avec un bon niveau de vie, d'éducation et les États moins avancés, en retard sur à peu près tous les domaines et avec un taux de fécondité élevé. “En milieu urbain, à Bombay, à Delhi et dans les grandes villes, les niveaux d’éducation sont importants et les tailles des familles réduites”, constate Jacques Véron, démographe, spécialiste de l’Inde. A contrario, “certains États ont des conditions de vie qui s’améliorent très peu”. Combler et équilibrer ces déficits dans certaines régions de l’Inde apparaît comme le prochain immense défi pour une bonne “gestion de la croissance de population”. 

 

L’hindouisme radical, frein au développement interne

 

Autre enjeu interne en Inde : l’ultra nationalisme prôné par le Premier ministre Narendra Modi. Il mène depuis des années une politique radicale, loin du sécularisme connu en Europe. Pour René Valette, aussi ancien président du CCFD Terre Solidaire, cela se fait au détriment des autres religions. “Les musulmans et les chrétiens sont largement persécutés”. 

 

Dans les populations les plus fragiles, “il y a des musulmans et des chrétiens Dalits”, poursuit-il. “Le problème de l’Inde est moins celui de sa capacité à faire face au défi démographique que sa capacité à organiser la vie socio-économique à partir de valeurs qui rendent la résolution des problèmes démographiques possibles”. 

 

L’Inde, pays acteur du nouvel ordre mondial 

 

À l’international, l’Inde présente sa puissance démographique comme une force géopolitique majeure. Depuis le G20 en novembre 2022, le pays tente de séduire le monde dans sa grandeur. D’abord, aux pays du sud, l’Inde promet d’être “la voix des sans voix”. Elle revendique également sa fidélité à la Russie, allié historique, face aux problèmes occidentaux. Et à l’Europe, l’Inde se présente comme le rempart contre le terrorisme. 

 

Enfin, les spécialistes constatent avec étonnement le rapprochement récent avec la Chine, ennemi historique. “Jusqu’à maintenant, les relations entre l’Inde et la Chine étaient difficiles, sinon exécrables”. Le modèle de l’ordre mondial en place depuis 1945 est en train d’être remis en cause par la Chine et la Russie. L’Inde pourrait désormais rejoindre ce groupe “pour contester l’occident comme vecteur de valeurs de références et pour dire “on a d’autres références à proposer et ce sont les nôtres”, conclut René Valette. Un enjeu diplomatique et géopolitique pour s’imposer dans un nouvel ordre mondial où la suprématie de l’Est ne fait que croître.